Travaux

Le Karaté

karate-04J’ai choisi de vous parler du karaté traditionnel nommé goju-ryu d’Okinawa que j’ai pratiqué pendant 6 années car il s’agit d’un art méconnu (j’insiste sur le terme d’art car il ne s’agit pas d’un sport) et qui présente des caractéristiques communes avec la franc-maçonnerie, tant dans ses finalités que dans les modes de travail qu’il requiert.

Tout d’abord, il convient de constater que mon propos est frappé d’une double gageure.
En effet, tout pratiquant d’un art martial vous dira toujours que l’enseignement qu’il a suivi est celui qui se rapproche le plus de la racine de l’art originel. Je n’échapperai certainement pas à cette règle.
Ensuite, ayant été passionné par cet enseignement, je ne saurai prétendre être objectif dans mon propos, même si je vais m’y efforcer.

Enfin, pour vous exposer ce sujet, j’ai opté pour une présentation en trois parties.
Toute chose ne se comprenant bien que par son histoire, je vais donc sacrifier à la tradition et vous exposer un bref aperçu historique de l’art dans un premier temps.
Par la suite et pour concrétiser, je vous présenterai la pratique et ses multiples apports et enfin, en contrepoids de la partie précédente, je terminerai avec un troisième point relatif aux limites et dérives de l’enseignement du karaté.

Mais à présent, je vous invite à voyager dans l’espace et dans le temps.

I Histoire

Je présenterai cette partie selon les 3 points suivants : le contexte géographique et humain, un fait capital dans le développement de l’art et les deux courants du karaté

Le contexte géographique et humain

Le karaté est originaire de l’île d’Okinawa (ryu-kyu en japonais), située à 550 kilomètres au sud du Japon et à 750 kilomètres au sud-est de la Chine.
Okinawa est l’île principale d’un archipel du même nom.
La position géographique stratégique de l’île l’a très rapidement soumise à des influences chinoises et japonaises, dont on trouve des traces dès 300 avant JC.
Les échanges culturels et commerciaux avec la Chine furent les plus importants et plusieurs jeunes nobles okinawaiens purent étudier en Chine, entre autre chose les arts martiaux.
Ce facteur contribua au développement du taoïsme, puis du bouddhisme sur l’île.
Si les chinois se contentèrent d’échanges commerciaux et culturels, les japonais occupèrent militairement l’île à partir de 1609.
La population locale y était composée d’agriculteurs, de pêcheurs et de commerçants (internationaux pour certains) et développa un art de combat indigène sommaire à compter du 9ème siècle après Jésus-Christ.

Un fait capital dans le développement de l’art

Un fait capital dans l’évolution du karaté se situe en 1477.
A cette date le roi de l’époque (sho shin) soucieux de préserver l’ordre public face à des nobles belliqueux et séditieux, proclama l’interdiction et la confiscation de toutes les armes de l’île et ordonna à tous les nobles de venir résider près de son château.
Cette interdiction sera maintenu en 1609 après l’invasion japonaise.
En 1816, informé de ce fait, Napoléon déclara « je ne peux comprendre un peuple qui ne s’intéresse pas à la guerre ».
Paradoxe de l’histoire car, à partir de cette interdiction, deux formes d’art martial se développèrent.
D’un côté, les nobles de la cour développèrent le te soit le combat à mains nues alors que les paysans conçurent le bujustsu, combat qui utilise les outils de l’agriculture tels que le fléau à blé, le bâton, les poignées de meules, les faux, les brides de cheval ou même les rames.
On retrouve ces types d’armes de nos jours dans les forces de l’ordre (exemple tonfa en version aseptisée chez les policiers en France et au USA, ou bâton long pour le maintien de l’ordre au Japon).
Une synthèse culturellement très riche se produisit au 18ème siècle entre l’art du te, les arts martiaux de la boxe du temple de Shaolin (Chine) et d’autres styles issus de la province chinoise de Fu-kien.
Ainsi, le karaté naissant est soumis à de multiples influences culturelles que l’on retrouve dans ses techniques (mouvements circulaires et contrôle du souffle issus du taoïsme et assimilé au chi, énergie vitale et pratique du zazen, méditation issue du bouddhisme).

Les deux courants du karaté

Sur une base technique commune, deux styles se développèrent par la suite : le shorin-ryu (ryu voulant dire école) utilisant davantage le travail des jambes, plus aérien et privilégiant les mouvements plus longs issu des villes okinawaiennes de Tomari et Shori et le goju-ryu, issu de la ville de Naha privilégiant des techniques plus courtes, une grande stabilité au sol, des mouvements circulaires (issus du taoïsme) et un travail respiratoire important.
Au fil du temps quelques écoles indépendantes se développeront à Okinawa sur cette base technique commune, tel le ueshi-ryu, dont la spécialité réside dans les casses (battes de base-ball brisées avec le poignet ou le tibia sur des frappes circulaires à titre d’exemple).
Des ersatz se développeront ultérieurement sur la base de ces deux styles, à savoir principalement le shotokan (style le plus répandu en France) et le wado-ryu, lui même erzatz du précédent.

Ceci nous amène à évoquer la pratique du karaté.

II La pratique

Trois points structurent cette partie : le cadre, les techniques, la philosophie

Le cadre

Le karaté se pratique dans un dojo, lieu généralement construit en bois et qui est très respecté (salut en entrant, hygiène corporelle et vestimentaire exigées et discipline très stricte avec laquelle on ne badine pas).
Les dojo traditionnels comportent différents adages inscrits sur des banderoles affichées sur les murs.
On y trouve à titre d’exemple les formules « purifie ton esprit », « apprends la persistance en t’entraînant avec diligence et en surmontant les difficultés » ou encore « vide ton esprit de toute pensée égocentrique durant la pratique en harmonisant ta respiration et ton action ».
Un portrait de sensei (maître de l’école) et une peinture de bodhidarma, le moine qui importa le bouddhisme en Chine au 6ème siècle de notre ère sont présents au mur.
Les armes du bujutsu sont présentes dans la pièce, ainsi que différents objets d’entraînement tels les makiwara (poteaux de frappe), ou les sichi, blocs de béton dans lesquels sont fichés des manches de pioches et destinés à développer une musculation très spécifique.

Les techniques

Le karaté est un système, basé sur les atemis (coups) et les uke (contre), auxquels se rajoutent des techniques de clefs et de projection.
L’anatomie du corps humain est enseignée de manière empirique sous la forme des points vitaux que le pratiquant doit s’efforcer de toucher.
Les entraînements sont toujours très structurés (échauffement permettant d’assouplir et de renforcer en passant par tous les stades de l’aérobie et de l’anaérobie, techniques pratiquées seul ou à deux, renforcements musculaires et osseux, combats souples ou non, katas, c’est à dire enchaînement de mouvement et de techniques pratiquées seul).
Littéralement traduit, le terme karaté signifie « l’art de la main vide » au sens de la main ouverte, technique bien plus dangereuse que le poing fermé, et qui commence à s’étudier après une année de pratique au minimum.
Au fil des années le pratiquant découvre que le corps peut être une machine extrêmement complexe et que quasiment toutes ses parties peuvent servir à frapper ou à contrer.
Ainsi, j’y ai perçu deux grandes subtilités que l’on ne peut découvrir que par la pratique intensive :
Chaque technique ou enchaînement, en apparence fort simple à réaliser, peut se décliner à 5 voire 6 degrés différents en fonction du contexte ou du timing. À titre d’exemple le 13ème et dernier kata de l’école goju-ryu comporte 93 enchaînements soit plus de 500 techniques reconductibles.
La technique se réalise en l’absence de pensée, la pratique intensive instillant une forme de vie intérieure qui prend le pas sur notre conscience et notre comportement courant, notamment en situation de stress ou de fatigue intense.

Il est à noter que si le passage sous le bandeau n’existe pas dans le karaté traditionnel, il se pratique officieusement et dans la durée.
Ainsi, jamais plus de 10% des nouveaux inscrits ne franchissent le cap de la première année, découragés par l’intensité de la pratique et son aspect parfois abscons (par exemple la recherche systématique de bons appuis au sol), la discipline stricte, l’absence d’émulation et une forme de pression psychologique mise sur le débutant la première année.
Dans le karaté traditionnel, l’esprit doit devenir aussi fort que le corps et l’interruption du cours n’est tolérée par un pratiquant que s’il s’effondre physiquement ou en cas de blessure sérieuse.

La philosophie

L’esprit sportif n’existe pas vraiment au sens occidental du terme.
La participation à des combats sportifs n’est pas prohibée mais le pratiquant assidu percevant au bout d’un à deux ans la richesse de l’art, comprend par effet miroir la pauvreté technique et spirituelle, ainsi que la vacuité de la compétition sportive.
A cette richesse technique, se rajoute une prise de distance par rapport à la vie sociale et à la superficialité des choses, la pratique de l’art faisant percevoir un champ de connaissance et une forme de savoir immense et méconnu.
Il faut ici souligner que le système de ceintures de couleur en vigueur en occident n’existe pas à Okinawa, où les pratiquants restent ceinture blanche largement plus de 10 années avant que leur sensei leur attribue une ceinture noire et un grade (dan) correspondant.
Enfin, la pratique de l’art apprend la modestie, le dépassement de soi et la volonté d’approfondissement car le karatéka (le pratiquant du karaté) trouve toujours plus fort et plus expérimenté que lui et comprend, au fil des années, que la richesse technique et spirituelle de l’art ne pourra peut être même pas être acquise au terme d’une vie entière d’entraînement.

Mais cette description serait lacunaire si l’on ne présentait pas les limites et dérives de la pratique de cet art.

III Limites et dérives

J’ai pu identifier trois types de travers consécutifs à cet apprentissage : le cloisonnement social, une agressivité à maîtrise et le mésusage de la pratique

Le cloisonnement social

La pratique requiert 3 soirées par semaine consacrées à l’art lui-même, auxquelles s’ajoutent au minimum 2 à 3 heures d’entraînement personnel pour améliorer ses points faibles en condition physique, soit 8 à 10 heures hebdomadaires.
Outre le temps consacré, l’énergie ainsi déployée incite au repos et au retrait de la vie sociale.
De surcroît, le système de valeur présenté ci-dessus place le karatéka en décalage par rapport aux (non) valeurs de la société de consommation.

Une agressivité à maîtriser

Au-delà des principes évoqués supra et même si un adage affirme que le karaté ne sert que pour la défense et que chaque kata commence par une technique défensive, l’intensité de la pratique, la confiance en soi développée et la vie intérieure créée par l’art n’incitent pas à une attitude timorée dans les rapports humains.
Les karatekas traditionnels ont souvent une attitude d’épicuriens non hédonistes.
Cette forme d’agressivité peut se retrouver dans l’entraînement où un manque de respect envers le maître peut être sanctionné par un dommage physique plus ou moins involontaire.

Le mésusage de la pratique

J’ai pu identifié un pratiquant qui, du fait de sa connaissance de l’art, a été recruté dans la sécurité privée et travaille actuellement pour des individus bien connus par les services judiciaires français. Cette forme d’avilissement éthique de l’art ne semble pas lui avoir posé de problème.
Il convient de souligner que ce pratiquant étant titulaire d’une maîtrise de droit, ce dévoiement de l’art ne saurait s’expliquer par une volonté d’insertion ou de promotion sociale.

 

En conclusion, même si j’ai retiré de nombreux enseignements du karaté traditionnel, de nombreux questionnements demeurent.
Au niveau des enseignements, j’ai pu développer une certaine forme de modestie, une plus grande force physique et psychologique mais aussi une modération de l’ego (un refoulement dirait un psychologue) et une perception des choses différente, plus détachée et bien plus relativiste.
J’ai surtout acquis la conviction que le karatéka traditionnel assidu accède peu à peu à l’élévation du caractère et de l’esprit de celui qui pratique l’art.

Dans le domaine des questionnements, on peut s’interroger sur ce qui pousse à aller s’enfermer plusieurs heures par semaine et à revenir régulièrement avec des os abîmés voire brisés, des contusions, des points de suture et une fatigue physique profonde, le tout face à l’incompréhension de vos proches.
A l’époque où je pratiquais, j’aurai été parfaitement incapable d’émettre une hypothèse d’explication.
A présent, avec 15 années de recul, je pense que pour ma part la raison profonde a été de me démarquer d’un environnement social et surtout familial aux antipodes de ce que j’ai pu découvrir dans la pratique de l’art.
Ainsi, le karaté peut il apparaître également comme une forme de thérapie.

3 Comments

  1. Mourad

    Le sujet mérite ce genre d’approche et que l’on se fasse mal aux yeux sur nos PC, plutôt que mal aux mains à jouer aux vilains.
    Plus sérieusement, je trouve que c’est un très beau travail, intéressant, concis et complet.
    Merci.

  2. Michel Duhem

    Pratiquant le karaté shotokan, depuis plus de 30 ans, j’ai eu l’occasion d’approcher à plusieurs reprises le Goju-Ryu J’aime beaucoup votre article.

  3. Max

    bonjour j’aim votre article,moi je pratique le karaté shotokan.ce bon votre article.

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