Laïcité

Centenaire de l’Humanité Future : conclusions de Jean-Michel Quillardet

Les discours sont des actes. C’est une prise de possession d’un espace. C’est une prise de possession d’un débat et en effet, je le crois, d’un combat. Je remercie d’abord naturellement la loge L’Humanité Future de m’avoir invité à participer à ses travaux. 100 ans, quel bel âge pour une loge ! 100 ans, cela veut dire que pendant toutes ces années, vos ancêtres, nos ancêtres ont maçonné sans interruption, sauf au moment du régime de Vichy où nous avons été interdits et nos loges fermées. 100 ans où des frères se sont rencontrés, différents les uns des autres, mais malgré ces différences ont réussi justement à retrouver ce que nous cherchons nous autres francs-maçons dans nos loges, le point de rencontre, le point commun et notre point commun, ici au Grand Orient de France, ce sont nos valeurs, ce sont nos principes. Au fond, l’on pourrait dire que nous avons trois projets : le projet maçonnique, notre démarche initiatique. Ce rapport si singulier de soi à soi et de soi vis-à-vis des autres ; essayer de s’améliorer soi même, essayer d’améliorer l’autre, mais surtout puiser en l’autre ce qui va permettre de nous améliorer nous mêmes, le connais toi toi-même socratique pour essayer de sortir de nous même, de nous dépasser, répondant en quelque sorte à l’appel de Nietzsche dans le Zarathoustra « homme tu es fait pour te dépasser, homme t’es-tu dépassé, homme qui t’a appelé à te dépasser ? ». Le projet maçonnique c’est d’abord d’essayer de se dépasser. Et puis nous avons un autre projet qui est le projet humaniste. Vous savez, c’est le je, tu, ils de Montaigne.

Le je, être un homme debout, être un homme libre, un homme des lumières. Vous connaissez ce texte de Kant « Qu’est-ce que les lumières ? » et qui à la fin disait ceci « Le militaire, l’officier vous dit : exécutez, le financier vous dit : payez, le fonctionnaire vous dit : obéissez, le prêtre vous dit : croyez, le roi vous dit : vous pouvez penser ce que vous voulez, mais faites ce que je vous dis. Et Kant de conclure « sapere aude, osez penser, osons penser ». Le projet humaniste c’est celui-là. Pensez librement, débarrassé de toute cléricature, de tous savoirs imposés, c’est le Tu, c’est-à-dire, l’altruisme, aller vers l’autre. Je crois qu’une loge, une obédience, et je crois aussi une société idéale, c’est aussi ce cosmopolitisme des idées et des êtres. Ce cosmopolitisme, vous savez, ce beau terme si combattu dans les années 1930, au moment des ligues fascistes et des ligues pétainistes. Mais c’est aussi le Ils au pluriel, car cette intelligence de contradiction, cette rencontre des différences, c’est pour construire l’universel, pour réunir ce qui est épars par ce combat humaniste, d’accéder à la conscience universelle qui est la seule qui nous permet de vivre ensemble dans l’harmonie et dans la reconnaissance de l’autre en tant qu’autre.

Et puis, naturellement, au Grand Orient de France, c’est un 3ème projet, le projet laïc et républicain. Les valeurs de la laïcité, vous l’avez dit tout à l’heure, souvent au Grand Orient de France, quelquefois, même sur nos colonnes, on nous dit quand nous en parlons « Oh, tout ça c’est du passé, revenez à la modernité, revenez au présent ». Certes nous avons eu une belle histoire, nous autres francs-maçons, la loi 1905, d’autres grandes lois républicaines, mais aujourd’hui, il faut passer à autre chose. Et bien je crois que c’est totalement faux. Vous savez, ici, dans ce temple, furent initiés Jules Ferry, le père de l’école publique, laïque et obligatoire. Et bien le combat de Jules Ferry et de tous ses amis, est-ce que c’est un combat du passé ? Non, nous sommes au cœur de l’actualité, parce que cette école publique que nous aimons tous, c’est l’école qui permettait cet ascenseur social, qui permettait cette égalité des chances. Jean Guéhenno, fils de savetier vivant dans la misère, il le racontait, et qui fut élève à l’école normale supérieure, et qui termina sa carrière à l’académie française, Jean Guéhenno, aujourd’hui pourrait-il entrer à l’école normale supérieure ? Je n’en suis pas certain. L’école n’est pas en cause, et là où vous avez raison Bernard Teper, c’est la question économique qui est au cœur de la question de l’école et qui est au cœur de la question de la laïcité. Je souhaite l’année prochaine peut être, ou d’autres années, si nous le pouvons, que dans le combat que nous menons ici au Grand Orient de France dans la défense de la laïcité, nous puissions en effet, remettre sur nos chantiers la question de l’école qui me parait quelque part en danger. Victor Schoelcher, initié, vous le savez, signa le décret de l’abolition de l’esclavage, vous pensez que l’esclavage n’existe plus, mais si mes frères, mes sœurs, mesdames et messieurs, c’est un esclavage des temps modernes. Ce sont encore des enfants en Afrique, en Chine, qui travaillent dans les mines, ce sont des hommes qui quelquefois, en effet, cloîtrés, battus en quelque sorte, ou en tout cas emprisonnés pour travailler. Pourquoi ? Pour cette force capitalistique, pour cette force mondialiste de l’économie, toujours gagner plus et faire travailler plus de pauvres ères. Oui, le discours sur l’esclavage de Victor Schoelcher notre frère, il est au cœur de notre avenir. Et Littré, initié aussi ici, père de la connaissance encyclopédie, et qui voulait justement que par la connaissance, par le savoir, par l’encyclopédie, chaque enfant d’où qu’il vienne et quel qu’il soit puisse accéder à la culture. Vous pensez aujourd’hui que l’égalité culturelle règne dans notre pays ? Bien sûr que non. C’est l’une des principales inégalités, celle à l’égard justement de la beauté de l’art, du savoir, des livres. Des enfants qui n’ont pas de livres chez eux, des enfants qui n’ont jamais eu l’occasion chez eux d’écouter Mozart, ils sont très handicapés dans la vie, ils leur faut beaucoup de force pour que eux même empoignent leur destin. C’est une inégalité flagrante et qui est bien évidemment économique. Et quand on nous parle de la loi de 1905, je n’y reviendrai pas, tout a été dit, et nous nous reconnaissons, bien sûr, dans l’ensemble des propos qui ont été tenus cet après-midi. Mais la loi de 1905, quand on nous explique, mais enfin et souvent on me le dit lorsque je fais des conférences publiques, mais enfin Monsieur le Grand Maître, vous défendez la loi de 1905, mais 1905 ce n’est pas 2007. En 1905, il n’y avait pas de musulmans, en 1905, ce n’était pas les mêmes structurations, économiques, socio professionnelles. Je réponds « et la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, c’est de 1789, relisez-la, vous pensez que cette déclaration des Droits de L’Homme et du Citoyen ne constitue pas des principes fondamentaux pour l’organisation de notre République ». Alors là, on ne me répond pas généralement. Et bien, la loi de 1905, dans l’énoncé de ses deux articles, cela constitue purement et simplement des principes et les principes on n’y transige pas. Les principes, on ne les retranche pas parce qu’ils sont justement fondateurs, non seulement d’une histoire, mais fondateurs d’une conscience collective qui permet, en effet, que la république soit forte. A cet égard, relisons, vous avez cité Jaurès, permettez-moi de citer un franc-maçon, Eugène Le Roy, vous savez le père de Jacquou le croquant, l’auteur de Jacquou le croquant qui a fait un admirable petit texte sur la défense de la séparation des églises et de l’état. Et bien, ce texte, on devrait l’apprendre par cœur. Oui, les combats du Grand Orient de France sont des combats très actuels et nous devons les mener. Mais est-ce un combat ? Les francs-maçons doivent-ils en quelque sorte être des militants ? Je le crois. Je le crois, naturellement pas dans un combat partisan, mais dans un combat justement pour ces valeurs et ces principes. Et je crois que ces combats sont menés insuffisamment sans doute, mais ils sont menés et ont été menés, et je voudrais en citer deux :

L’année dernière, on a fêté le centenaire de la loi de 1905. Il y a 50 ans on ne l’a pas fêté parce que la question ne se posait pas. La question ne se posait plus, on avait l’impression que cela était totalement inscrit dans la conscience de chacun. 50 ans plus tard, nous autres francs- maçons, avec les associations laïques, nous étions avec nos cordons, j’étais Grand Maître je venais d’être élu, dans la rue, dans les rues de Paris, et dans toutes les rues des grandes villes de France, pour dire notre attachement à cette loi de 1905. Dire elle ne doit pas être amendée, elle ne doit pas être modifiée, elle ne doit pas être toilettée. Avons-nous été entendus ? Pour le moment : oui. Et si aujourd’hui l’ensemble des candidats aux élections présidentielles, en tout cas les principaux d’entre eux, dans leur programme, n’ont pas inscrit cette modification, je pense que c’est un petit peu grâce à nos combats communs.

Le 2ème combat que nous avons mené c’est naturellement contre le rapport Machelon. Le rapport Machelon, vous l’avez très bien dit Monsieur Péna Ruiz, c’est bien d’indiquer que l’article 2 n’a pas de valeur constitutionnelle et qu’il peut, par conséquent, être modifié à tout moment, et c’est également cette subtilité de faire passer la loi de 1905, d’un statut cultuel à un statut culturel, avec toutes les déviances  possibles de financement par les collectivités locales en particulier. Le Grand Orient de France à fait un rapport, un rapport que nous avons appelé « rapport de défense de la loi de 1905 », un rapport anti-Machelon. Nous l’avons envoyé partout, nous l’avons diffusé partout, et je crois à cet égard, avec les associations laïques, que nous avons contribué à ce que en effet, ce rapport a été enterré, pour le moment, car il faut être vigilant à tous les instants. Dans Le Monde, je lis un article où on nous explique que Madame le ministre de l’intérieur a reçu les autorités religieuses et les représentants des cultes, pour parler de la loi de 1905, pour parler en effet d’un certain nombre de dispositions, dixit le journal Le Monde, inscrit dans le rapport Machelon, et pour parler de la question de la laïcité. Et comme l’on sait bien que la Fédération Protestante de France est certainement l’une des associations religieuses qui est la plus encline effectivement à trouver dans le rapport Machelon un certain nombre de solutions pour permettre le financement des mouvements évangéliques qui nous viennent des Etats-Unis. Il faut être vigilant, car dans ces mouvements évangéliques, il y a aussi beaucoup de mouvements d’aspects sectaires. Et bien, j’ai donc pris ma plume, et j’ai écris à Madame le ministre « Je prends connaissance que vous avez reçu l’ensemble des cultes, je ne doute pas une seule seconde que vous allez très vite organiser une rencontre avec les associations de défense de la laïcité, avec les associations spirituelles non religieuses, les obédiences maçonniques et en particulier le Grand Orient de France, pour que nous discutions aussi de l’ensemble de ces sujets. Ma lettre a été adressée à Madame le ministre de l’intérieur, vendredi, attendons, je vous tiendrai au courant. Mais il y a quelque chose qui est très significatif dans notre société, et je voudrais le rajouter à ce qui a été dit, c’est que la vraie question de la laïcité dans notre pays est la suivante, au-delà de tout ce qui a été dit et magnifiquement dit tout à l’heure. Moi, franc-maçon, citoyen, je n’ai rien contre la religion. Vous l’avez dit, M. Péna Ruiz, rien contre la démarche religieuse qui est une démarche parfaitement respectable. C’est un mode d’appropriation du monde. C’est un mode de connaissances. C’est une démarche philosophique. Mais ce qu’on arrive pas à comprendre et à faire passer, c’est qu’il y a d’autres démarches philosophiques, la démarche rationaliste, la démarche athée, la démarche agnostique, la démarche maçonnique qui peuvent être également d’autres rapports à l’égard du mystère des origines, d’autres rapports à l’égard de la société. Et je vous le dis très clairement, une démarche athée est toute aussi légitime et respectable qu’une démarche religieuse. Et bien, dans notre pays laïc, dans notre république laïque, on privilégie toujours la religion par rapport à ces autres formes de pensées. On la privilégie à la télévision du service public. Je mène un combat depuis que je suis élu Grand Maître, pour que, c’est une question de principe, ce n’est pas une question d’écoute ce n’est pas une question d’audimat pour qu’il y ait des émissions comme il y a des émissions pour les religions le dimanche matin, qu’il y ait des émissions pour l’UFAL, pour la libre pensée, pour le GODF, pour le GLDF, pour la GLFF, etc … Et on me répond toujours, d’un côté vous avez raison, mais ça n’est pas de notre compétence, c’est une question de cahier des charges, c’est le gouvernement. J’avais rencontré M. de Carolis qui m’avait dit « Ah moi je ne peux rien faire ». Il m’avait expliqué de manière assez intéressante, que lui était assez contre le principe de ces émissions. Je lui dis, je suis entièrement d’accord avec vous, dans ces conditions, supprimez les émissions religieuses le dimanche matin. Il m’a expliqué avec un petit sourire que c’était un petit peu plus compliqué que cela. Oui, mais vous avez raison, là il y a un poids, une tradition religieuse dans notre pays qui doit en effet être à un moment donné écarté, parce que ça ne correspond pas aux principes républicains, mais je respecte la foi, je respecte la croyance et je cite souvent, je vais le réciter, les beaux vers d’Aragon « Qu’importe cette clarté qui guidait leurs pas …. »

C’est intéressant parce que c’était un poème qui était écrit à la mémoire de Guy Môquet, communiste athée, et du marquis catholique d’Estienne d’Orves, résistant, victime de la barbarie nazie. Ce qui nous importe, c’est la communauté des hommes, ce qui nous importe ce sont ceux qui combattent pour la liberté et pour la dignité. Et ce statut privilégié, on le retrouve un petit peu partout dans le protocole républicain. Je crois en effet, qu’il y a des avancées dans ce combat pour la laïcité et la défense de la loi de 1905 et que si tous ensemble républicains humanistes laïques nous pouvons nous rassembler si ces attaques contre la laïcité étaient beaucoup plus menaçantes, je crois que nous constituerions une force et je crois que dans le pays et dans l’opinion, lorsque l’on explique aussi bien que vous le faites,  la question de la laïcité je crois que en quelque sorte, le peuple, la population seraient avec nous. Mais sachez que le GODF en tout cas, tant que je serai Président du GODF, nous serons toujours avec les associations laïques, avec les intellectuels, pour la défense de cette magnifique idée qu’est celle de la laïcité. Et je ne vais pas reprendre tout ce que vous avez dit, mais lorsque l’on vous écoute, mais oui c’est vrai, ce n’est pas la solution à tous nos problèmes, mais c’est une magnifique idée qui permet simplement de vivre ensemble, en se respectant les uns les autres. Mais c’est vrai aussi qu’on ne peut pas occulter dans ce combat laïc et dans ce projet laïc la question des inégalités sociales et culturelles. Le projet laïc, la laïcité triomphera dans notre pays, ou plus exactement pourra permettre cette flamboyance du vivre en commun lorsque l’on pourra permettre à des jeunes de banlieues, en déshérence sociale, en déstructuration citoyenne, de s’intégrer, de se réintégrer dans notre société pour leur faire comprendre que le pacte républicain ça les concerne, et ça concerne leur avenir. Encore faut-il leur donner la possibilité d’un avenir et nous sommes en effet au cœur de la question économique et sociale. Mon très cher vénérable président, mes frères, mes sœurs, Mesdames et Messieurs, je ne veux pas être trop long. Je voudrais simplement dire que nous autres francs-maçons, nous avons nos faiblesses, nous commettons des erreurs comme tout le monde. Mais que ce que nous faisons dans nos loges, vous savez, on nous interroge toujours, mais c’est un peu secret, etc … alors que rien est secret. Vous allez dans la librairie d’à côté, vous achetez des livres, on vous explique tout. Mais nous sommes une association, donc on a des réunions qui sont réservées aux membres de l’association. Donc si vous voulez savoir vraiment ce qui se passe dans nos loges, il faut rentrer dans notre association. C’est dans toutes les associations comme cela que cela se passe, et ce que nous faisons, c’est ce que nous avons fait aujourd’hui, écouter, écouter des savoirs, écouter des expériences, partager des expertises,  et puis après discuter, débattre et on sort de la loge quelquefois mieux informés, quelquefois peut être un peu plus critique sur telle ou telle question. On se remet en question et on essaie ainsi, pas à pas, degré par degré de construire une société plus juste, plus fraternelle, plus humaniste. Vous savez, ce que disait Albert Camus après la seconde guerre mondiale, et après le terrible cauchemar « notre génération, a à reconstruire le monde et l’humanité. Les générations suivantes, c’est-à-dire les nôtres, aurons à éviter que le monde et l’humanité se défasse ». Je le crois, et je crois à cet égard que la franc-maçonnerie, les francs-maçons du GODF, nous avons une terrible responsabilité, enfin, faire vaincre notre idéal.  Il convient maintenant que je m’arrête en tout cas, je vous remercie de votre invitation et de m’avoir fait participer à cette très belle après midi.

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