Travaux

L’abstention aux élections ne fait que croître.  Comment réconcilier les électeurs avec le fonctionnement de la démocratie ?

Avant de développer notre propos il nous est apparu nécessaire de dénoncer la logique spécieuse induite par le libellé de cette question. En effet :

  1. Le bon fonctionnement de la démocratie ne peut se résumer aux seuls taux de participation du corps électoral aux différents scrutins locaux ou nationaux, la démocratie ne se résumant pas à la démocratie électorale.
  2. L’abstention n’est pas à considérer comme un tout uniforme. Elle peut tout autant relever d’un désintérêt pour le gouvernement de la Cité, qu’attester de choix politiques et/ou philosophiques.

Aussi notre réflexion ne portera pas sur le « Comment dissoudre les abstentionnistes ? », ne préjugeant pas d’un quelconque tort. Nous nous intéresserons au contraire sur la raison et les causes de cette abstention et sur les moyens à mettre en œuvre pour éclairer tous les citoyens et les intéresser à la chose publique de la manière qu’ils choisiront.

 

Éléments historiques

 

Ainsi pour les anarchistes et selon Proudhon dans De la capacité politique des classes ouvrières : « Il vaut mieux agir que d’élire » et ne pas se soumettre à une illusion. L’individu se proclamant autonome ne peut se corrompre dans des règles permettant à un système de domination sociale et économique de se maintenir au pouvoir au détriment de l’intérêt général. Le vote ne nous permet pas de changer la société, mais témoigne alors de notre abdication à vouloir le faire puisque légitimant à peu de choses près le statu quo dans une pratique conservatrice réduisant la politique à des enjeux de tactiques et de pouvoir.

Pour autant la Déclaration universelle des Droits de l’Homme établit en son article.21, la volonté du peuple comme le fondement de l’autorité des pouvoirs publics. Elle affirme :

« Cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret, ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ». Aussi l’organisation régulière d’élections libres est à ce jour à l’échelle internationale, le critère le plus souvent retenu pour évaluer le caractère démocratique d’un régime politique. Il n’est bien entendu pas le seul, nous évoquerons aussi les autres nécessaires conditions.

 

Selon les pays et leur histoire, la démocratie a pris forme différemment. En France la Révolution de 1789 est la pierre angulaire de la démocratie et de la République. Et depuis le droit de vote a plusieurs fois évolué, pour être de moins en moins restrictif :

 

  • 1791 : Le droit de vote est accordé́ aux citoyens dont le total des impôts directs dépasse un seuil, appelé́ cens. On parle de suffrage censitaire et indirect.
  • 1792 voit l’instauration du suffrage universel masculin. Tous les hommes en âge de voter peuvent le faire quels que soient leurs impôts, s’ils ont la nationalité́ française mais il s’agit alors toujours d’un suffrage indirect.
  • Rétablissement du suffrage censitaire lors de la Restauration de 1815.
  • En 1848 intervient l’instauration définitive du suffrage universel masculin par la IIème République.
  • Le droit de vote est donné aux femmes en 1944.
  • En 1962, le suffrage universel direct est institué́ pour l’élection du Président de la République.
  • Le droit de vote passe en 1974 de 21 à 18 ans.

 

Ainsi l’articulation liberté/égalité doit constamment être réexaminée pour garantir aussi bien l’une que l’autre, et relever sans cesse le défi de la fraternité. Lorsque le fonctionnement de l’idéal démocratique se fige, sa vitalité s’en retrouve de facto affaiblie. Force est de constater que nous y sommes !

 

Aujourd’hui l’idéal républicain repose sur le bloc de constitutionalité en même temps qu’il le fonde. Quels en sont les textes :

 

  • La Constitution de 1958   dont le préambule proclame solennellement l’attachement du peuple français aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale

tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par …

  • Le préambule de la Constitution de 1946, lequel stipule : Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, un certain nombre de principes politiques, économiques et sociaux.
  • La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
  • La Charte de l’environnement de 2004

 

Alors pourquoi donc malgré ce cadre une réalité démocratique de plus en plus illibérale s’impose aux citoyens ? Comment les pouvoirs bafouent-ils leurs limites constitutionnelles, l’état de droit et les libertés individuelles ? Quelles actions et politiques pour y remédier ?

 

Un Déséquilibre entre pouvoirs : un exécutif trop fort

 

La France de toutes les démocraties est sans doute parmi celles qui donnent le plus de pouvoirs à l’exécutif. L’hyper concentration des pouvoirs dans les mains de la Présidence, l’hyper personnification de celle-ci depuis 1962 et son élection au suffrage universel direct, et l’hyper saturation très momentanée de l’espace médiatique qu’elle induit, dénaturent à elles-seules l’aspect démocratique des institutions. La République française communauté singulière et symbolique peut-elle s’en accommoder ou au contraire le chef de l’État ne devrait-il pas à l’instar d’autres pays ne disposer que d’un rôle symbolique fort, idéalisé plus qu’incarné ? De surcroît si le pouvoir législatif appartient certes au Parlement, l’exécutif avec l’autorisation de ce-dernier peut par ordonnances prendre des dispositions relevant normalement du législatif. Le parlementarisme majoritaire n’est ainsi pas à l’abri d’abus. L’article 2 de la Constitution ne précise-t-il pourtant pas comme principe : le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple.

Quels rééquilibrages est-il donc possible d’envisager ?

 

La voie référendaire 

Il est un procédé de démocratie semi-directe. Il n’appelle que deux réponses possibles le Oui ou le Non. Il n’a jusqu’ici été pratiqué qu’à l’initiative du Président de la République sur proposition du gouvernement. En théorie une proposition conjointe des deux assemblées est possible mais en pratique le Parlement ne s’est jamais dessaisi de ses prérogatives législatives. Depuis 2015 il peut être d’initiative partagée s’il est soutenue par 1/5ème des parlementaires et 10% des électeurs inscrits sur les listes électorales. Toutefois ce dernier est assorti d’autres conditions qui le rendent hautement improbable, pour peu que les outils mis à disposition par le ministère de l’intérieur pour recenser les signataires ne soient pas particulièrement intuitifs comme pour la pétition sur la privatisation de Aéroport de Paris. Dans les trois cas son champ d’application est restreint à la ratification de traités, à l’organisation des pouvoirs ou services publics, à des réformes relatives aux politiques économiques, sociales ou environnementales. Son usage a souvent été pensé comme plébiscitaire, et son résultat lorsqu’il n’est pas celui escompté comme en 2005 (avec le Non au TCE) est alors contourné.

 

Les expériences de démocratie directe 

Suite à la crise de 2008 et à la dévaluation de sa Couronne, l’Islande s’est engagée dans un processus démocratique dans la perspective d’une modification de la Constitution via un processus participatif, et la désignation de participants corédacteurs. Le texte final validé par un référendum avec 66% d’opinions favorables a finalement ensuite été enterré dans le processus législatif classique. Il semblerait que la collectivisation envisagée des ressources naturelles du pays en ait été l’une des raisons.

En France la Convention citoyenne sur le climat organisée sur huit mois en 2019, s’apparentait à cette idée de parlement annexe de citoyens, tirés au sort, le tirage étant pondéré pour aboutir à une représentation miniature de la population française. Sur 149 propositions, seulement 15 auraient été retenues sans filtre, les membres de le Convention eux-mêmes n’attribueront qu’une note de 3,3/10 au gouvernement pour la reprise des mesures proposées. La société n’y verra, elle, qu’une opération de communication de la part de l’exécutif.

 

Référendum ou expérience de démocratie directe, dans les deux cas les politiques, ici et ailleurs, font la démonstration du peu d’attention qu’ils ont pour la voix du peuple.

 

  • Un élargissement du champ d’application du référendum et la possibilité d’un référendum d’initiative strictement citoyenne, revendications des mouvements sociaux les plus récents, devraient être envisagés. D’éventuelles autres futures conventions devraient, elles, pourvoir dépasser l’espace qui est leur est dévolu par l’exécutif et soumettre leurs propositions à référendum. 
  • La démocratie directe appliquée à des thèmes spécifiques, sans pour autant sous-estimer son caractère auto-formateur de conscientisation, suppose travaux personnels et collectifs : 

s’informer, recueillir des témoignages, échanger, auditionner des personnes davantage spécialisées d’avis complémentaires, divergents. 

 

Au chapitre du déséquilibre entre pouvoirs la nécessaire indépendance de la justice doit être rappelée. Elle établit pour chacun les limites de l’exercice de son propre pouvoir. Il est de coutume pour les pouvoirs autoritaires de dénoncer ces limites relevant pour eux d’une « gouvernance des juges », prenant de la sorte à témoins leurs partisans, opposant citoyens entre eux, là où précisément toute la société doit se reconnaître. A noter que si les magistrats du siège sont indépendants, ceux du parquet dépendent hiérarchiquement de la chancellerie.

 

La France investit dans son système judicaire environ une soixantaine d’euros par habitant, soit plus que la Bulgarie, la Lituanie, ou la Roumanie pour une quarantaine d’euros mais loin derrière ses voisins immédiats : Italie 83 euros, Espagne 92 euros, Allemagne 131 euros, Luxembourg 160 euros, et Suisse 220 euros. Si l’on considère également le système pénitentiaire, la protection de la jeunesse, les services aux demandeurs d’asile, la France consacre alors 138 euros par habitant soit moins que la moyenne européenne établie à 178 euros. Les Pays-Bas, l’Irlande et la Suède consacrent eux  respectivement, 741, 552, et 457 euros.

Ainsi au pays des Droits de l’Homme, malgré l’aide juridictionnelle et la commission d’office possible d’avocats, le budget global de la justice ne s’inscrit pas précisément dans un objectif d’égalisation des conditions entre faibles et forts, induisant plus généralement le sentiment d’une « justice de classe ». Rappelons que les choix budgétaires sont des choix exclusivement politiques opérés par les gouvernements. Il semble plus facile de faire campagne sur le thème de la répression et de persuader en flattant de bas instincts que de convaincre sur l’amélioration des conditions en maison d’arrêt.

 

Enfin la Cour de justice de la République peine à convaincre de par ses condamnations lorsqu’il ne s’agit pas seulement de jugements moraux. Elle est pourtant initialement conçue pour réconcilier l’opinion et les politiques, en remplacement de la Haute Cour de justice. Cette dernière était, en effet,  composée uniquement de parlementaires, et ne pouvait être saisie que par ceux-ci, sous conditions. La CJR peut, elle, être saisie par toute personne mais douze de ses quinze membres restent des parlementaires. Il convient également de souligner qu’elle ne concerne que les membres du gouvernement ayant commis un acte délictueux durant leur mandat, tandis que leurs conseillers seront eux jugés par des tribunaux ordinaires. Au titre des saisines, le conseil constitutionnel peut depuis 1974 en cas d’abus supposé de la majorité parlementaire être saisi par 60 députés ou sénateurs.

 

  • Plusieurs fois envisagée avant d’être abandonnée la suppression de la CJR participerait pourtant d’un renouveau de la vie démocratique. 
  • Pour tout un chacun une réflexion approfondie sur l’allocation du budget de la justice, l’utilité et    l’inutilité de dispositions prévues dans le cadre de la justice pénale, s’avère également nécessaire.   

 

Exemplarité

 

L’affaire Dominique Strauss-Kahn dite du Sofitel de New-York consécutive aux accusations d’agression sexuelle, la détention de comptes en Suisse puis à Singapour du ministre Cahuzac en charge du budget et de la lutte contre la fraude fiscale, la condamnation en appel de Nicolas Sarkozy, ancien président de la République à un an de prison pour dépassement du plafond légal de compte de campagne, sa mise en examen dans d’autres affaires, les soupçons même levés de prise illégale d’intérêt de la part du ministre de la Justice, les affaires des assistants parlementaires européens du Modem et du Rassemblement National pour n’évoquer que les cas les plus médiatiques, sont autant de scandales alimentant la défiance des citoyens à l’égard de leur classe politique. La pléthore des compromissions plus locales s’invitant dans leur quotidien aussi, n’est pas non plus de nature à tempérer le phénomène et à caractériser les brebis galeuses comme des exceptions, mais tend davantage à illustrer l’allégorie : Tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et vice-versa (La Table d’émeraude).   

 

Pour qu’un lien de confiance puisse s’établir entre les citoyens et leurs élus, ces derniers se doivent d’être irréprochables et faire preuve d’une forme d’éthique à traduire en déontologie à savoir en règles et devoirs toujours plus perfectibles pour encadrer le mandat qui leur est confié.

L’année dernière la France était classée au 23ème rang des pays les moins corrompus d’après l’indice établi par l’ONG Transparency International certes devant les États-Unis mais loin derrière les pays scandinaves.

La loi de 2013 sur la transparence de la vie publique relative à la déclaration de situation patrimoniale et à la déclaration d’intérêt a permis certes des progrès mais l’on peut aussi regretter le non renouvellement par le gouvernement de l’agrément de l’association Anticor, lui permettant d’agir efficacement en justice en cas d’inaction du parquet.

 

Au-delà même des affaires judiciaires l’exemplarité doit également s’illustrer dans la cohérence entre propos tenus et réalité pratique. Difficile d’espérer une sixième République plus démocratique de la part d’un mouvement qui pratique en interne la marginalisation de tous ceux qui n’adoptent pas la pensée pleine et entière de celui qui fait office de figure tutélaire dudit parti. Un homme ça s’empêche (Camus) n’est-elle pas une invite à une réflexion sur le pouvoir. Son exercice peut-il vraiment être différent de la façon dont il est conquis ?

L’exemplarité et la cohérence exigent aussi que les enfants du ministre de l’éducation nationale ne soient pas scolarisés dans un établissement d’enseignement privé confessionnel, au sein duquel des propos discriminatoires à l’égard de minorités sont de surcroit manifestement véhiculés.

 

  • Une législation accroissant la protection des lanceurs d’alerte via une obligation de confidentialité et une interdiction de représailles participerait du lien de confiance déjà mentionné.
  • Un examen des avantages et inconvénients d’une révocation possible d’un(e) élu(e) pourrait également être conduit. 

 

Représentativité

 

Pour tout élu à la majorité des suffrages exprimés au second tour, la légitimité du mandat est questionnée lorsque le candidat ne reçoit au premier tour, l’adhésion que d’un cinquième voire moins du corps électoral dans son entier.

 

  • La prise en compte du vote blanc dans les suffrages exprimés, une restitution des pourcentages obtenus en fonction des inscrits dans leur totalité permettraient un rendu plus juste des résultats obtenus. Ceux-ci en sortiraient plus sincères, puisque rendant plus exactement compte de l’opinion mais cette dernière en sortirait-elle plus confiante ?  

Rien n’est moins certain c’est pourquoi il apparaît difficile d’assortir cette prise en considération d’une obligation de se rendre aux urnes.

 

Par ailleurs l’Assemblée nationale donc la représentation nationale ne compte que très peu de représentants issus des milieux populaires. Employés et ouvriers représentent presque 50% de la population active mais ne comptent que pour 6% parmi les député(e)s. Les cadres, eux représentent 70 % des élus, tandis que leur part dans la population active n’est que de 22 %. La notion de méritocratie fondée sur la base du talent et de l’effort dévoile ici son fondement. Elle sert la justification d’une forme d’assignation ou aliénation au travers d’une oligarchie, qui ne se fonde plus certes sur la naissance mais sur des aptitudes très ciblées induisant un statut social plus qu’une utilité publique. Ainsi depuis 2017 et contrairement aux annonces l’élitisme social au sein de la classe politique n’a fait que se renforcer.

 

  • Un statut de l’élu(e) lui permettant de retrouver son emploi (contrepartie de la révocation) faciliterait-il l’engagement de tous, dans cette endémie observée du désengagement ? Une mesure à étudier même si sans aucun doute insuffisante, pour ne pas réduire l’engagement citoyen à une perspective électoraliste. 

 

La loi constitutionnelle de 1999 a permis d’établir comme principe l’égal accès aux femmes et aux hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. C’est en vertu de ce principe que les lois sur la parité ont pu être possibles, le principe d’égalité devant la loi s’opposant à toute division par catégories des électeurs et des éligibles.

Le récent choix de Joséphine Baker, Marie Curie, et Simone Veil pour illustrer le coté face de nouvelles pièces de monnaie, participe de cette volonté de repenser la représentation de la Res publica. Les mêmes accompagnées de Gilberte Brossolette, Sonia Rykiel, Rosa Parks, Frida Kahlo, Cesària Évora et bien d’autres femmes, sont autant de nouveaux noms de lieux ou édifices commémoratifs parisiens, attribués depuis 2014.

De la même manière à Bordeaux l’association « Mémoires et Partage » tout en préservant une toponymie pouvant parfois puiser ses références dans l’histoire de la traite des esclaves propose de la contextualiser par des éléments pédagogiques au travers entre autres d’un parcours dans la ville, en même temps que de nouvelles statues apparaissent pour commémorer l’abolition de l’esclavage.

 

  • Ainsi le sentiment d’être en périphérie du corps électoral induit par une forme d’invisibilisation, doit être considéré pour ainsi repenser l’espace public en corrigeant les injustices sans pour autant les effacer des mémoires. 

 

Évolution de la législation au regard de celle de la société et de l’engagement citoyen

 

L’organisation économique néolibérale et mondialisée actuelle consacre le capitalisme et avec lui la destruction de l’édification sociale des États en général, de la République française dans sa chair en particulier. Que reste-t-il des jalons de la Commune de Paris, du Front Populaire, du Conseil National de la Résistance ? L’idée d’un pouvoir économique imposant au politique une dérégulation est cependant une idée fausse : la guerre économique n’est pas une cause de la dérégulation mais en est l’effet. Répandre pendant plus de trente années l’idée d’une inéluctable impuissance politique ne fait que poser les fondements culturels du renoncement de la puissance politique. La mondialisation que nous connaissons n’est en effet pas la première et n’a rien de spécifique à notre époque. Entre 1870 et 1914 un phénomène analogue se produit. Cette première mondialisation s’opère pourtant en même temps que le développement du syndicalisme, la naissance du code du travail et de l’impôt progressif et non pas du recul des souverainetés nationales, et des droits sociaux. Le seul horizon politique proposé est pourtant aujourd’hui la réduction des déficits publics. La crise grecque de 2008 et la mise au pas en 2015 par la BCE et le FMI du gouvernement issu de la nouvelle majorité parlementaire obtenue alors par la coalition Syriza, l’illustrent parfaitement. Même si l’hétérogénéité de ladite alliance progressiste participe aussi à son renoncement à changer la société en profondeur.

La déroute idéologique est totale : réémergence des partis de droite extrême, et les catastrophes sanitaires connues : n’a-t-on pas voulu transformer des herbivores en carnivores ex : la vache folle, déforestation, nappes phréatiques, épuisement des sols, trous dans la couche d’ozone etc…

 

  • L’économie ou l’intendance devrait être seconde, un moyen au service d’un projet politique et non pas une fin en soi. Pour cela, les politiques doivent au service de l’intérêt général et de la cohésion sociale et ne soient plus à la solde des capitaux privés donc des plus puissants, et de leurs alliés le consumérisme, le communautarisme et l’individualisme.

 

Les politiques naguère du ni-ni, aujourd’hui du en même temps n’apparaissent pas comme un dépassement de ces intérêts particuliers, une pause dans les conflits d’intérêts divergents. Ces derniers sont plus que jamais d’actualité. Ne plus se dire de droite ou de gauche témoigne de ces opportunisme et absence d’idées et de volonté à changer la vie du plus grand nombre.

Échapper à la caste des « perdants » pour ne pas renoncer à ses propres usages dans une société de l’avoir plus que de l’être, ne relève que d’un courtermisme sans aucune perspective.

 

  • C’est pourquoi il convient dans le discours et dans les actes de restaurer le clivage droite/gauche sans lequel le danger de l’extrême droite au pouvoir semble inéluctable.
  • Un examen de conscience donnera par ailleurs à chacun matière à réflexion sur ses propres choix et engagements pour un meilleur avenir en commun, permettant à tous de se dépasser. 

 

L’engagement citoyen ne légitime pas nécessairement « un système », mais peut aussi à l’inverse  manifester une réprobation de la réalité et ou de la légalité. L’exemple de Cédric Herrou, paysan de la vallée de la Roya aidant des migrants en situation irrégulière l’illustre parfaitement. Condamné en première instance à quatre mois de prison avec sursis, il a ensuite été relaxé par la cour d’appel, confortée par la cour de cassation rejetant le pourvoi du parquet général et ce après que le conseil constitutionnel saisi considère l’action de Cédric Herrou non pas comme un « délit de solidarité » mais comme l’application du principe de fraternité.

 

Depuis 2008, la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, permet à chaque citoyen de contester la conformité de la loi avec la constitution devant l’instance à laquelle il est confrontée.

Toutefois dans l’inconscient collectif, trop peu nombreuses sont les nouvelles lois octroyant de nouveaux droits. La loi Veil relative à la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse, la récente loi constitutionnelle déterminant sa liberté garantie, la loi de 2013 ouvrant le mariage civil aux couples du même sexe, malgré les débats qu’elles ont suscités, paraissent presque comme quelques gouttes d’eau dans un océan de contraintes. De plus, et sans en minimiser l’importance, il est à noter que ces nouveaux droits sont davantage sociétaux que sociaux à l’exception des lois de 2002 relatives à l’action sociale et aux droits des malades, la démocratie sanitaire reconnaissant le droit de chacun à connaître, décider et agir pour la santé et la protection de la santé publique. Le rapport praticien/patient ne s’inscrit désormais plus dans le schéma du sachant dictant son expertise à l’ignorant. Pour autant la future loi sur la fin de vie ne semble que partiellement répondre aux attentes de la société.  

 

A l’inverse plus nombreuses sont les dispositions restrictives prises dans contexte d’urgence terroriste, sanitaire. Elles sont de surcroit parfois ensuite retranscrites dans le droit commun. La France entre 2017 et 2022 a passé la moitié du temps à vivre en régime d’exception.

 

  • L’État d’urgence aujourd’hui prononcé par décret en conseil des ministres, ne peut au-delà de douze jours être prolongé que par une loi qui en décide la durée. Cette dernière ne devrait-elle pas être adoptée par une majorité qualifiée (plutôt que simple) de la représentation nationale convoquée expressément à cet effet ? 
  • Ne conviendrait-il pas de renoncer à l’absurdité du culte du « risque zéro », outil politique s’il en est, et ce afin que nouveaux champs de liberté et de droits fondamentaux puissent s’installer dans la société, laquelle ne peut être appréhendée humainement sans prise de risques ? 

 

Quels rôles pour les médias dans cette actualité anxiogène ?

 

Alertes canicule, inondation, neige, incendie, pollution, enlèvement, terrorisme etc. En bref autant d’invitations à rester chez soi, dans sa bulle voire sa bulle numérique au travers des réseaux virtuellement sociaux. Plus de temps désormais pour digérer les informations, toutes plus catastrophiques elles se succèdent les unes aux autres. Les images brutes et vraies ou fausses élaborées par des intelligences artificielles servent à susciter et diffuser l’émotion.

Pas de temps et de place sur les plateaux pour des analyses distanciées et approfondies, il s’agit de prendre parti pour un camp contre un autre, les producteurs en quête de parts de marché et d’annonceurs publicitaires recherchent davantage le choc des opinions, le clash, le buzz.

 

Le graphique dit du parti de la presse et de l’argent publiée pour la première fois par la Monde diplomatique en 2007 réactualisée depuis 2016 en collaboration avec Acrimed cartographie de manière synthétique les liens de dépendances entre les milieux financiers et industriels, et les médias d’information qui « font l’opinion ». Neuf dixièmes des grands médias sont détenus par neuf milliardaires parmi lesquels MM. Drahi, Arnault, Dassault, Pinault, Bolloré. Chacun à sa manière justifie le « qui possède dirige ».

 

Aussi lors des mouvements sociaux, il n’est pas rare que dégradations et affrontements soient mis en avant même si marginaux, alimentant une certaine défiance des manifestants indignés d’être réduits à des mouvements violents plus que revendicatifs. Le scepticisme des français envers les médias ne cesse de croitre 57% estiment qu’il convient d’être méfiant. Près de deux tiers doutent de l’indépendance des journalistes jugés soumis au pouvoir politique et/ou financier.

Le film « La Fracture » de la cinéaste Catherine Corisni restitue, lui, sa part de vérité sur la grande majorité  des participants au mouvement des gilets jaunes. La liberté d’expression artistique reste, elle, garantie.

 

Le consortium international des journalistes d’investigation, pouvant associer jusqu’à une centaine de médias, lors d’enquêtes internationales, permet de re-crédibiliser l’idée de la possibilité d’un journalisme indépendant. Sur une échelle plus nationale, certains médias informatifs classiques ou plus ouverts aux jeunes, tentent des approches plus factuelles pour vérifier entre autres les dires de nos politiques, voire en analyser la rhétorique : Les Décodeurs du Monde, Le vrai ou faux de France Info, Hugo décrypte sur YouTube, Clément Viktorovitch à l’occasion de ses chroniques.

 

  • L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) régule en France l’ensemble des services inhérents à sa dénomination. En charge de contrôler l’éthique du contenu des programmes, elle est prudente dans ses interventions relevant davantage de la recommandation que de la sanction. Elle assure l’indépendance des médias. On pourra toutefois s’interroger sur la désignation de ses membres pour un mandat de six ans à l’exception de son président nommé par l’Élysée pour une durée indéterminée.   
  • Faut-il que les grilles de programme de l’audiovisuel public rivalisent avec celles des chaines privées dont l’un des anciens PDG déclarait publiquement qu’il ne s’agissait pas de rendre autonome le téléspectateur dans son jugement mais de rendre disponible du temps de cerveau à la finalité de vendre du Coca Cola ? 

 

L’École pour éclairer les esprits 

 

Rappelons à ce stade la nécessité du caractère laïque et gratuit de l’enseignement public.

 

Dans l’histoire de France l’intolérance religieuse a souvent été une source d’injustice, entre autres au Moyen Age avec les cathares, plus tard avec la révocation de l’édit de Nantes, et plus récemment avec les lois de Vichy portant sur le statut des juifs. Ainsi la laïcité consacrant l’égalité des êtres humains, s’est-elle imposée comme vecteur de l’émancipation par la raison critique, rempart contre la soumission au despotisme, à l’obscurantisme.

 

En garantissant la liberté absolue de conscience, elle n’exclut pas le religieux mais définit les espaces dans lesquels toutes les convictions spirituelles et philosophiques sont possibles. A l’école publique Dieu est mis à distance, l’expression ostensible ou prosélyte de l’identité religieuse est interdite. Il s’agit par l’instruction de réunir, d’apprendre ce qui « fait société ». Ainsi l’école institue le citoyen.

 

Pour Condorcet : « Plus les hommes sont disposés par éducation à raisonner juste, à saisir les vérités qu’on leur présente, à rejeter les erreurs dont on veut les rendre victimes, plus aussi une nation qui verrait ainsi les lumières s’accroître de plus en plus, et se répandre sur un grand nombre d’individus, doit espérer d’obtenir et de conserver de bonnes lois, une administration sage, une constitution vraiment libre ».

 

  • L’école creuset de la République et de la démocratie se doit d’être imperméable aux problèmes tiraillant la société qui l’environne, et doit être centrée sur l’enseignement des connaissances et non sur l’apprentissage des compétences. Revenir sur un certain nombre de dispositions légales prises depuis 1958 et relatives à son organisation, à son financement et aux programmes apparaît indispensable. Faut-il vraiment en adaptant l’école au marché du travail, en l’ouvrant au monde de l’entreprise, rompre avec son essence qui permit l’interdiction du travail des enfants ? Non ! 

 

 

En conclusion 

 

La démocratie ne doit pas être considérée comme une utopie inaccessible mais comme un idéal certes perfectible mais atteignable grâce à une analyse critique du contexte, rendue possible par une circulation libre de la parole, des opinions, autrement dit dans le débat.

L’expérience de la démocratie ne se résume donc pas à l’isoloir, même si ce dernier en est une partie constitutive. Elle s’apprend dans les partis politiques, les syndicats, les associations, les tribunaux, les médias, la rue et en tout premier lieu à l’école. Aucun de ses lieux ne se suffit à lui-même, chacun dans un équilibre in-tranquille, est indispensable aux autres. A cette condition, l’élection ne sera plus  envisagée comme un moment de division mais de réunion dans un rituel faisant de chacun des électeurs des égaux se reconnaissant comme tels. Les grands défis à venir et à relever, parmi lesquels le défi climatique, nous obligent à cette fraternité, à considérer chacun comme une partie du tout de l’identité terrienne, la seule identité collective pouvant faire abstraction de toute forme de particularisme, permettant de ressentir la nécessité des bienfaits de l’universalité.

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