Travaux

La naissance du Christianisme (partie 2)

Au Point n°1 traitant de Dieu et de la religion, les constitutions d’Anderson indiquent :

« Un Maçon est obligé de par son Titre d’obéir à la Loi Morale et s’il comprend bien l’Art, il ne sera jamais un Athée stupide ni un Libertin irréligieux ».

S’agissait-il de qualifier l’athée et le libertin de manière sentencieuse, ou au contraire de manifester une tolérance à l’égard d’une opinion étayée, de ne pas nécessairement voir dans la liberté une forme d’immoralité ? La question peut être posée dès lors que la bonté, l’honnêteté, l’honneur et la sincérité sont ensuite définies comme pouvant permettre de dépasser les croyances particulières.            

Ainsi les exégèses de textes dits sacrés ou fondateurs, leur confrontation entre elles et à la réalité ne permettent-elles pas à chacun de forger sa propre opinion dans la raison critique ?

Aussi le premier volet de cet exposé se concluait par : Les évangiles ne sont pas écrits pour dire l’histoire de Jésus mais pour arguer de ce qu’il devait et doit être. Il s’agissait alors de traiter de la « Passion du Christ » soit l’ensemble des événements qui ont précédé et accompagné sa mort.

Nous allons ici traiter d’une période allant de la crucifixion à la fin du deuxième siècle.

Jésus après Jésus

Jésus qu’il ait ou non existé ne peut, à la lecture du nouveau testament, être considéré comme le fondateur du christianisme. Il s’agirait là d’un anachronisme. Au premier siècle, le judaïsme palestinien est alors pluriel. Jésus comme Jean le Baptiste et beaucoup d’autres, propose une nouvelle interprétation de l’image de Dieu, mais à l’intérieur du judaïsme. Cette nouvelle conscience, à ses balbutiements, n’a donc rien de schismatique. Le mouvement chrétien n’est pas autonome, les juifs-chrétiens professent Jésus comme le messie, celui qui a reçu l’onction divine, de laquelle les païens sont complètement étrangers.

Si le mot Église est utilisé au livre des Actes, il le ne faut pas le comprendre comme aujourd’hui admis : une institution centralisée. Il convient de parler de communautés, celles d’Antioche, ou d’Alexandrie par exemple. Le nouveau testament ne nous éclaire d’ailleurs que très peu sur les modalités de diffusion de cette foi en Christ ressuscité depuis Jérusalem.  Ekklésia s’utilise alors pour désigner des groupes de fidèles se réunissant parfois à même un domicile. Quand Paul écrit toutes ses lettres, il s’adresse aux assemblées de Corinthe, de Galatie, de Philippe, ou de Rome, mais aussi à toutes celles s’en réclamant ici ou là. On parle d’ailleurs de lettres communautaires.

Ces lettres confèrent à Paul un rôle premier. Celui du grand apôtre expliquant aux communautés issues pour la plupart du monde païen, ce qu’il faut comprendre :

  • de la vie de Jésus depuis sa naissance jusqu’à sa résurrection, en passant par ses prêches et sa crucifixion,
  • du message qui lui est attribué, et comment le vivre.

Pour mieux convaincre les païens, un certain nombre de préceptes rituels seront abandonnés : entre autres l’observance du shabbat, la circoncision, manger cachère. La figure juive de Jésus est peu à peu mise à distance : de fils de David, il devient Jésus-Christ fils de Dieu, et ce faisant son égal, Dieu lui-même. Le père, le fils et le Saint-Esprit, distincts mais égaux, participent d’une même essence : le Dieu trinitaire unique en trois personnes. L’éventuel être de chair est ainsi spiritualisé.

D’après les écritures Jésus meurt crucifié. Une mort infamante réservée aux esclaves fugitifs, aux brigands. L’espoir d’une fin des temps triomphante et de l’avènement du royaume de Dieu, n’est plus.

La résurrection intervenant au troisième jour est diversement appréciée. Si l’évangile de Jean confirme la présence charnelle du ressuscité : « Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce la dans mon côté, cesse d’être incrédule »[1], Paul dans ses épîtres aux Corinthiens, suggère un corps ressuscité animé par l’esprit. L’évangéliste Matthieu, lui, signale le doute ressenti par certains : « Quand ils le virent…certains eurent des doutes »[2].

La résurrection étant un élément fondamental du christianisme, ne sommes-nous pas invités à l’envisager comme un évènement théologique, une expérience de foi des disciples, dans la vision de Jésus ? Cette dualité entre corps charnelle et corps spirituel du ressuscité, ne fait-elle pas écho à l’opposition entre les deux natures : Homme et Dieu, de Jésus vivant ?

Lorsque Paul, dans ses épîtres aux Corinthiens, écrit « …qu’il a été enseveli, et qu’il est ressuscité le troisième jour, selon les écritures, et qu’il est apparu à Céphas, puis aux douze, puis ensuite, à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart sont encore vivants, et dont quelques-uns sont morts » ne cherche-t-il pas à historiciser l’évènement de Pâques, en le légitimant par un argument quantitatif, plutôt qu’à relater un évènement réellement historique ?

Ce faisant pouvons-nous par ailleurs considérer Pierre comme étant le successeur de Jésus, puisque premier témoin de l’apparition du ressuscité ?

Lorsque Simon-Pierre dit à Jésus : « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant », et que Jésus lui répond : « …Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église…Je te donnerai les clefs du royaume des cieux. »[3], la réplique ne témoigne-t-elle pas, certes de la position prééminente de Pierre dans la communauté de Matthieu, mais aussi du recours à la symbolique du rocher de la fondation, de la pierre d’assise sur laquelle repose le temple de Jérusalem, point de jonction spirituel entre ciel et terre, maison de Dieu habitant les cieux mais visitant les Hommes ?

Les autres évangélistes sont moins élogieux, et présentent Pierre comme un disciple impulsif, gaffeur, besogneux dans sa compréhension, reniant par trois fois Jésus. Pourtant par trois fois Jésus lui pose la question « M’aimes-tu ? », et par trois fois Pierre lui répond « Oui, seigneur tu sais que je t’aime ». Cette triple confession d’amour n’est-elle pas destinée à réconcilier les différentes figures de Pierre ?

A moins qu’il ne faille finalement considérer l’une ou l’autre figure comme les prises de positions des divers rédacteurs face au pouvoir prétendument conféré à Pierre.

Comment la famille de Jésus, telle que décrite par les écritures, se positionne-t-elle ?

Jacques, frère de Jésus

Le livre des Actes fait, lui, apparaître la famille de Jésus comme prenant en charge la communauté chrétienne de Jérusalem unie, et inscrit donc le lecteur dans une succession dynastique, avec la figure de Jacques, frère du Seigneur : « Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères »[4].

Les évangiles semblent pourtant indiquer une distance entre Jésus et sa famille :

« Ils disaient en effet : Il est devenu fou »[5]« ses frères ne croyaient plus en lui »[6]« Comme Jésus s’adressait encore à la foule…, sa mère et ses frères …, cherchèrent à lui parler »[7].

La famille n’adhère ici ni au message ni à sa diffusion.

D’autre part Jésus affirme lui-même :

« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi »[8], et définit sa vraie famille comme étant celle de ses disciples.   

Aussi ne faut-il pas, comme pour Pierre, considérer, la position ainsi exposée de la famille, à l’aune des luttes de pouvoir entre communautés auxquelles ces textes sont associés ?

Au chapitre 6 de Marc, il est écrit :

« N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joses, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici parmi nous ? ».

Sans équivoque le texte indique que Jésus n’est pas fils unique. Ce qui était sous-entendu par Luc : « Elle mît au monde son fils, premier-né », est confirmé. Jésus est le premier d’une fratrie. Dans ce contexte il est difficile pour le lecteur d’imaginer Marie en vierge.

Par Jésus fils de Marie, faut-il entendre qu’il s’agit d’un fils illégitime néanmoins accueilli par Joseph ?  Marie a-t-elle été violée ? Dans le Talmud Jésus est appelé Yeshua ben Panthera, fils de Pantera. Serait-il donc le fils d’un légionnaire romain ? Aussi compte tenu des écrits et des hypothèses en découlant, la virginité perpétuelle de Marie ne devrait-elle pas être admise comme relevant avant tout d’une préoccupation théologique ?

Au deuxième siècle le protévangile de Jacques (évangile apocryphe de l’enfance) apparaît, et tente une explication accréditant la naissance virginale. Son auteur prétend être le demi-frère de Jésus par un précédent mariage de Joseph, lequel aurait accepté Marie alors que veuf et âgé.

Jérôme, prêtre du quatrième siècle, l’un des pères de l’Église latine, ne présume pas un mariage antérieur mais l’existence d’une autre Marie. L’une serait la mère de Jésus, l’autre celle des demi-frères et sœurs.

Enfin certains soutiennent l’idée d’un sens plus large à donner au mot frère en tant que parenté. Dans les langues sémitiques un mot peut en effet recouvrir plusieurs acceptions. Toutefois les évangiles écrits en grec, tout comme les épitres de Paul, n’emploient pas le mot aneptios (cousin) mais bien le mot adelphos (frère).

Cette opposition entre d’une part une éventuelle réalité biologiquement inscrite dans une famille juive palestinienne et d’autre part l’affirmation du fils unique, ne résume-t-elle pas l’essence théologique de Jésus le messie, Jésus-Christ, être de chair et spirituel ?

L’importance de Pierre ou de Jacques oscille selon les époques, les tensions entre communautés chrétiennes elles-mêmes, ainsi qu’avec la tradition juive. Dans la liste dressée par Paul dans son épître aux Corinthiens, Jésus apparaît à Jacques, toutefois dans un second temps. Par la suite l’épitre aux Galates lui accorde une importance certaine. Après une quasi disparition des évangiles, il réapparaît avec les Actes des apôtres, lesquels en parallèle mettent fin au rôle de Pierre[9]. Ainsi Pierre fait place à Jacques qui prend le pouvoir : d’affinitaire, la succession devient généalogique.

Selon Flavius Joseph, historien juif du premier siècle, Jacques est un juif traditionnel donc fidèle à la loi mosaïque avec laquelle il convient de prendre de la distance pour mieux s’adresser aux païens. Est-ce la raison pour laquelle la tradition chrétienne n’entretient pas son souvenir ?

Enfin rappelons que plus tard l’Église de Jérusalem sera détrônée par celle de Rome.

Un royaume qui ne vient pas  

L’imminence du royaume de Dieu annoncée par Jésus, ne se concrétise pas avant sa mort, laquelle plonge ses disciples dans le désarroi. N’avait-il pourtant pas promis

« Je vous le dis en vérité, quand le fils de l’homme, au renouvellement de toutes choses, sera assis sur le trône de sa gloire, vous qui m’avez suivi, vous serez de même assis sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d’Israël »[10] ?

Dans Marc, Jean dit : « Maître, nous avons vu un homme qui chasse des démons en ton nom, nous l’en avons empêché, parce qu’il n’est pas des nôtres »[11]. Il faut sans doute envisager plusieurs cercles autour de Jésus. Le premier d’entre eux, est symboliquement constitué d’un nombre de membres égal à celui des fondateurs des tribus d’Israël selon l’ancien testament.

Il est toutefois à considérer que la liste des douze ne concorde pas toujours parfaitement entre évangiles. 

La re-contextualisation historique du personnage Jésus nous interroge nécessairement sur la nature du royaume de Dieu. Est-elle céleste ou terrestre ? Elle interroge aussi les apôtres : « Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d’Israël ? »[12]. La Palestine d’alors est occupée par les romains. Beaucoup de juifs sont dans l’attente de la restauration de la pureté d’Israël. Les plus radicaux, les zélotes, confisquent certains impôts, incitent le peuple à la rébellion, veulent expulser l’occupant impie en promouvant le règne de Dieu comme une théocratie. La présence romaine est un facteur d’impureté. Pour autant les exégètes semblent s’accorder sur l’absence d’inspiration nationaliste juive dans la prédication attribuée à Jésus. Il est question de purifier Israël non par une action politico-militaire, mais par l’avènement du royaume des cieux. Jésus ne dit-il pas à Pilate « Si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus »[13]. Mais, ces paroles ont elles réellement été prononcées, ou simplement écrites en fonction de nécessités postérieures ?

En effet l’urgence de la fin des temps s’amoindrit au fil des textes. Difficile de croire au royaume si l’espérance de l’apocalypse s’éloigne. Le potentiel royaume terrestre à venir, est remplacé par la réalité d’un royaume spirituel et céleste, le programme d’une organisation différente est remplacé par un programme de témoignages, l’attente de l’imminence par une œuvre missionnaire de longue haleine. Les échelles temps et d’espace changent.

Querelle de famille 

Le tableau du christianisme primitif ne peut se dresser qu’à partir des plus anciens textes disponibles, et doit se repenser chaque fois que de nouveaux éléments ou documents apparaissent. Dans l’ordre chronologique ces documents sont les épîtres de Paul en 50-55, les évangiles Marc, Matthieu et Luc en 65-90, les Actes et Jean en 80-110. Pour mémoire Paul meurt vraisemblablement entre 62-67.

La famille et les disciples de Jésus bien qu’originaires de Galilée située au nord d’Israël, s’établissent après la crucifixion et de manière surprenante à Jérusalem, près du Temple et de sa police.

Dans l’attente de la fin des temps, que l’on pense alors de courte durée, la communauté fait le choix de la mise en commun des biens, une organisation déjà pratiquée à Qumran et probablement alors par de nombreuses sectes esséniennes. Acte C5 en témoigne : « Un homme, vendit une propriété, et retint une partie du prix, puis apporta le reste, et le déposa aux pieds des apôtres. Pierre lui dît alors : Pourquoi Satan a t-il rempli ton cœur, au point que tu mentes au Saint-Esprit, et que tu aies retenu une partie du prix du champ ? ».  S’agit-il d’un écho au livre de Malachie de la bible hébraïque faisant lui aussi état de tromperie dans les dîmes et offrandes : « Maudit soit le trompeur qui a dans son troupeau un mâle, et qui voue et sacrifie au seigneur une bête chétive ! » ?

Dans cette même perspective de la parousie, la perpétuation n’est pas envisagée en termes de générations nouvelles et de reproduction mais en termes d’adeptes. Philippe convertit un eunuque. Il est également question de veuves et de vierges, elles aussi alors exclues tout comme l’eunuque de la sexualité.

L’attente se prolongeant des conflits apparaissent, malgré la rédaction très harmonisante de l’auteur des Actes. Un cinquième des jérusalémites parlaient alors le grec et ne comprenaient pas le culte en araméen. C’est à partir de ce clivage linguistico-culturel que va naître un autre culte. Le personnage d’Étienne incarne cette opposition entre juifs chrétiens hellénistes et hébreux.

Les hellénistes estiment que leurs veuves ne bénéficient pas des mêmes secours matériels que les veuves des hébreux. Les douze apôtres convoquent alors les disciples aux fins de désigner sept diacres, issus de la communauté helléniste, ainsi assignés à un office d’entraide. Étienne, originaire des synagogues de la diaspora, est l’un d’entre eux.

Les tensions entre communautés ne trouvent en réalité pas leur origine dans ce détail d’intendance, la suite du récit nous éclaire sur leur profondeur. Il est alors écrit : « Cet individu (Étienne) ne cesse de proférer des paroles contre le lieu Saint et contre la Loi. Nous l’avons entendu affirmer que ce Jésus, le Nazaréen, détruirait le lieu Saint et changerait les coutumes que Moïse nous a transmises. »

Les (judéo-chrétiens) hébreux ont-ils perçu dans ces paroles le danger d’une appropriation de la figure de Jésus, une nouvelle interprétation de son message ? Comment lui Étienne un helléniste peut-il renouveler Jésus, en allant plus loin encore ?

Car en effet si le fils de Dieu dénonce la corruption du Temple, il ne remet pas en cause sa centralité et ne propose pas non plus un nouveau rapport à la Torah. Comme une répétition de la passion du Christ, Étienne est condamné : « Ils l’entraînèrent hors de la ville et se mirent à le lapider. Étienne se mettant à genoux s’écria d’une voix forte : Seigneur, ne leur compte pas ce péché. »  

Suite à la mort d’Étienne, les trublions hellénistes de l’Église primitive de Jérusalem, sont expulsés et dispersés dans les campagnes de Judée et de Samarie. Les apôtres eux ne sont pas inquiétés et restent sur place. Les judéo-chrétiens attachés à la Torah et au Temple ne sont en effet pas aussi inquiétants pour les pharisiens et fonctionnaires du Temple. Pour la caste sacerdotale qui entretient de bonnes relations avec l’Empire en s’appuyant sur le statut dérogatoire de « religion licite », il est important que l’ordre soit maintenu et que les rites demeurent malgré les interrogations naissantes.

Toutefois la rupture est consommée entre les hellénistes et la communauté de Jacques, frère de Jésus.           

Les premiers ne seront jamais réintégrés. Ils jetteront les bases de l’évangélisation des premiers païens, de surcroît dans une mission centripète et non plus centrifuge par rapport à Jérusalem.

Paul, l’avorton

Si aujourd’hui la pléthore des courants religieux se revendiquant du christianisme laisse supposer que l’unité était première, nous savons qu’il n’en n’était rien. Au contraire, la diversité théologique des communautés primo-chrétiennes, est grande et tout aussi grandes sont les angoisses que cette cacophonie génère parmi ceux qui attendent le royaume de Dieu d’une part, et ceux qui se revendiquent comme les héritiers légitimes du messie d’autre part. Apparaitra donc progressivement la nécessité de se faire communiquer les dissemblances des rapports à Israël, d’établir des ponts entre ces règles éparses, quitte à crucifier l’Histoire au profit d’une œuvre littéraire unificatrice. Les textes de Paul de Tarse, ou le mentionnant illustrent parfaitement ces dissonances à harmoniser.

Les sept épîtres laissés par le personnage contemporain du protagoniste nommé Jésus, constituent l’un des rares messages écrits qui nous soit parvenu de l’Antiquité. Il se décrit alors en chef chrétien radical beaucoup moins respectueux des principes judaïques que le portrait qu’en fait Luc, trente années plus tard dans les « Actes des apôtres ». Les deux récits obéissent sans aucun doute à des exigences ponctuelles de narration. Entre les deux textes les biblistes soulignent quelques convergences, beaucoup d’oublis ou de silences, et pas mal d’incohérences au point de parfois qualifier Luc de manipulateur.

Pour exemple si Acte 22 en fait l’élève d’un maître pharisien : « Je suis Juif, né à Tarse en Cilicie mais j’ai été instruit aux pieds de Gamaliel dans la connaissance exacte de la Loi de nos pères. », Paul, lui, écrit dans l’une de ses épîtres n’être jamais allé à Jérusalem avant sa première visite à Pierre. Qu’il sache l’hébreu est également une affirmation contestée, malgré sa judéité revendiquée : « moi, circoncis le huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu né d’Hébreux, quant à la loi, pharisien. »

Au travers de ses épîtres, Paul nous renseigne sur son corpus théologique, qu’il développe souvent contre vents et marées en Asie mineure, en Grèce, à Rome, particulièrement auprès des gentils, au risque de tensions au sein de ses propres communautés. Dans Galates, il est écrit : « En effet, avant l’arrivée de quelques personnes envoyées par Jacques, il mangeait avec les païens, et quand elles furent venues, il s’esquiva et se tint à l’écart, par crainte des circoncis ». Les Actes, eux, éludent la pensée au profit de la diffusion, de sa forme par les voyages, même si ces tensions sont également mentionnées : « Et lorsque Pierre fut monté à Jérusalem, les fidèles circoncis lui adressèrent des reproches, en disant : Tu es entré chez des incirconcis, et tu as mangé avec eux ».

Dans la vie de Saül devenu Paul, il y a donc un avant et un après. Dans Galates l’avant est ainsi décrit : « Vous avez su, en effet, quelle était autrefois ma conduite dans le judaïsme, comment je persécutais à outrance et ravageais l’Église de Dieu, et comment j’étais plus avancé dans le judaïsme que beaucoup de ceux de mon âge et de ma nation, étant animé d’un zèle excessif pour les traditions de mes pères »[14]. Cette confession ne fait pas de Paul, le plus grand des pêcheurs comme le voudra plus tard la tradition chrétienne en s’appuyant sur Luc. Acte C26 ne fait pas que respecter le schéma de la conversion, il scénarise sur le chemin de Damas la révélation et l’abjuration : « Je t’ai choisi du milieu de ce peuple et du milieu des païens, vers qui je t’envoie, afin que tu leur ouvres les yeux, pour qu’ils passent …de la puissance de Satan à Dieu, pour qu’ils reçoivent, par la foi en moi, le pardon des péchés. »

Dans ce récit, les adversaires de Paul sont ceux qui prêchent un Jésus prédicateur juif pratiquant non seulement la loi mosaïque, puisque ne l’ayant aucunement considérée comme abrogée, mais également un Jésus de chair et de sang fils de Dieu, rédempteur par ses actes et paroles du peuple d’Israël. Il convient donc de s’interroger sur les raisons qui dans cette narration poussent Paul à considérer la vie terrestre dudit Jésus, la pratique, les dires, et les miracles qui lui sont attribués, comme sans réelle importance. Pourquoi Paul situe-t-il le centre du message chrétien dans la résurrection au troisième jour de la crucifixion de l’envoyé par Dieu ?

Fermer son esprit à tout ce qui est déjà su de Jésus, lui permet en fait d’élaborer sa propre doctrine et de la légitimer. En effet bien que n’ayant pas connu Jésus, qu’il n’ait été témoin ni de sa vie, ni de sa mort puisque ne s’étant jamais alors encore rendu en Judée, Paul revendique le rang d’apôtre comme s’il avait été du cercle des douze. Il justifie sa vocation apostolique par l’expérience de la révélation sur le chemin de Damas. C’est donc au nom de de cette foi en un Jésus non terrestre mais céleste, qui s’est toutefois ressuscité à lui, qu’il va témoigner et devenir l’apôtre des gentils, que l’on connait.

La réalité s’efface au profit de la foi et de la littérature, la surexposition de Paul dans le nouveau Testament alors qu’il n’est que l’un des vecteurs de l’un des courants du primo christianisme, augure en fait de la prééminence à venir du courant helléniste pour l’identité chrétienne latine ou d’occident.

Concile de Jérusalem 

Dans Matthieu nous pouvons lire : « Tels sont les douze que Jésus envoya, après leur avoir donné les instructions suivantes : N’allez pas vers les païens »[15],  ou encore Jésus répondant à une Cananéenne : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël »[16]

Pourquoi donc Jacques, Pierre et les autres ne s’en sont-ils pas tenus aux recommandations de leur mentor ? Les auteurs s’inspirent-ils de la bible hébraïque dans laquelle la conversion des non juifs ou assimilés est déjà évoquées dans la prophétie d’Esaïe ?

« Il arrivera…que la montagne de la maison de l’Éternel …s’élèvera par-dessus les collines…toutes les nations y afflueront. Des peuples s’y rendront en foule, et diront : Venez…à la maison du Dieu, afin qu’il nous enseigne ses voies…car de Sion sortira la loi, et de Jérusalem la parole de l’Éternel »[17]

La « christianisation » des Craignant-Dieu et des païens deviendrait-elle donc un enjeu vital de et pour la mission paulinienne, et si oui pour quelles raisons ? 

Dans ce schéma narratif de la promesse de la fin des temps, que faire des païens ? Si pour Esaïe, l’ascèse, c’est-à-dire la conversion au judaïsme semble un prérequis pour entrer dans le peuple de l’alliance, Paul dans son épitre aux Romains intègre la mission qu’il s’est, ou que les rédacteurs lui ont dévolue au plan de Dieu : « À cause de la grâce que Dieu m’a faite d’être ministre de Jésus-Christ parmi les païens, m’acquittant du divin service de son Évangile, afin que les païens lui soient une offrande agréable »[18], et passe sous silence l’obéissance à la Loi mosaïque.

Nous sommes alors encore très loin de la constitution d’une religion autonome, le groupe de Paul n’est pas à envisager comme en dehors du judaïsme mais plutôt comme une communauté particulière d’un judaïsme polymorphe, ouvert à tous ceux s’intéressant à cette religion antique, mais qui pour certains peuvent aussi être effrayés par le rite de la circoncision. Paul intervient d’ailleurs en premier lieu dans les synagogues où juifs de plein droit, prosélytes et craignant-Dieu se croisent. La foi chrétienne apparaît ainsi comme une porte d’entrée au judaïsme, moins exigeante.

À Antioche les incidents se multiplient et posent la question de la coexistence entre chrétiens juifs et non juifs. Au-delà même de la circoncision, lors de l’eucharistie (la conversion du pain et du vin en corps et sang du Christ) la conformité aux principes rituels, doit elle ou non s’appliquer ? Il en est de même pour l’abstinence au travail un jour par semaine, de la possibilité du mariage, etc. Aussi vers 49, Jacques, frère de Jésus, Paul, et les autres apôtres se rencontrent à Jérusalem aux fins de débattre et de savoir s’il faut être juif avant d’être chrétien ? Au cours de cette assemblée dépeinte comme houleuse, deux courants s’affrontent : le premier de stricte observance accuse le second de laxisme, et le second se place du coté de la liberté contre les faux frères qui le réduisent à la servitude.

L’assemblée passe plus habilement qu’involontairement sous silence les problèmes de fond pour ne régler que les problèmes de contingence liés à la conversion au judaïsme, laquelle ne sera donc pas jugée indispensable. Les deux courants s’entendent sur le minimum minimorum c’est-à-dire le respect des sept lois de Noé : interdictions de blasphémer, d’idolâtrer, d’assassiner, de voler, d’unions libres, de manger de la chair arrachée à un animal vivant, d’établir des tribunaux. On ne va pas jusque à remonter à Adam et Ève pour ne pas trouver de dissensions mais nous y sommes presque…La Torah n’est pas remise en question mais elle n’est pas imposée aux non juifs. Ainsi juifs chrétiens et pagano chrétiens devraient pouvoir coexister, du moins les protagonistes le pensent-ils.

Les textes au-delà de cet accord a minima révèlent en fait un piège de Paul à Jacques : L’obéissance à la Torah ne peut plus être considérée comme salutaire aux incirconcis. C’est la foi en Jésus fils de Dieu, venu non pas racheter le seul peuple juif mais l’humanité toute entière, qui devient le chemin du salut. Un virage théologique à 180 degrés puisque nous passons du Jésus venu pour les juifs, à un Jésus duquel la résurrection confère l’universalité de sa mission : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit »[19].

Paul dans ses épitres affirme que l’évangélisation de ceux du prépuce lui a été confiée tout comme l’apostolat des circoncis à Pierre.

Plusieurs décennies plus tard, Luc auteur des actes décrit Pierre comme pionnier de l’intégration dans l’alliance d’un païen nommé Corneille : en lui attribuant ces propos :

« En vérité…Dieu ne fait point exception de personnes…en toute nation celui qui le craint et qui pratique la justice lui est agréable ». Paul malgré sa théologie portant les germes de la sédition, ne serait donc ici que la continuité de Pierre, lui-même continuité de Jésus.

Dans cette acception les différentes strates rédactionnelles ne sont pas considérées comme obéissant aux nécessités d’un contexte historique. Or cette hypothèse est largement contestée. 

Jour de colère

Les exégètes sont d’accord entre eux pour ne pas authentifier comme pauliniennes plusieurs des quatorze lettres attribuées à Paul dans la bible catholique. Même lorsqu’elles sont unanimement reconnues, certains passages de certaines épîtres font débat.

Au C2Vs14-16 de l’épitre aux Thessaloniciens, nous pouvons lire :

 « Vs14-Car vous, frères, vous êtes devenus les imitateurs des Églises de Dieu qui se réunissent en Jésus-Christ dans la Judée, puisque vous avez souffert vous aussi de la part de vos compatriotes, ce qu’elles ont eu à souffrir de la part des Juifs, _

Vs15- de ces Juifs qui ont mis à mort le Seigneur Jésus et les prophètes, nous ont persécutés, ne plaisent point à Dieu et sont ennemis du genre humain,

Vs16-Nous empêchant de prêcher aux nations pour leur salut :  de sorte qu’ils comblent sans cesse la mesure de leurs péchés. Mais la colère de Dieu est tombée sur eux pour y demeurer jusqu’à la fin._

Vs17-Pour nous, frères, un instant tristement, séparés de vous, de corps, non de cœur, nous avions grande hâte et un vif désir de vous revoir. »  

Le verset quatorze établit un parallélisme qui nous permet de déduire que les pagano-chrétiens ne sont plus acceptés des païens, que les juifs-chrétiens ne le sont également plus des juifs de stricte observance.

En revanche deux hypothèses s’affrontent sur les versets quinze et seize reprenant la plus féroce des propagandes anti-juives païennes de l’époque, et qui bien des siècles plus tard serviront aussi à nourrir l’antisémitisme.

La première option est destinée à relativiser le propos en le re-contextualisant. Dans cette première hypothèse, les propos de Paul s’inscriraient dans la tradition du Deutéronome – cinquième livre de la bible hébraïque – les prophètes, rejetés, y meurent souvent violemment. Dans l’Antiquité de nombreux autres textes d’auteurs juifs attestent par ailleurs de critiques d’autres juifs sans limites dans leur hostilité.

Paul, personnage impétueux, serait aussi fortement déçu par l’attitude de ses ex-coreligionnaires, ne s’inscrivant pas dans le même itinéraire que lui. Enfin la rencontre avec les apôtres à Jérusalem, n’a-t-elle pas été un dialogue de sourds tant du point de vue doctrinal, mais aussi dans la répartition géographique des champs missionnaires, le judaïsme pouvant être actif partout où de synagogues existent, donc bien au-delà de la Judée, tandis que les communautés primo-chrétiennes peine à s’enraciner en Palestine ?

Pour d’autres, il paraît difficile que Paul ait pu tenir tels propos, à l’égard du peuple dont il est issu, car il est bien question de l’entier peuple juif dans ces versets. De surcroit, Jésus tué par les juifs est un raccourci de ce qui sera dit plus tard au premier siècle. Enfin la colère ainsi exprimée semble devoir faire écho à la destruction du Temple en 70, lorsque Dieu abandonne le lieu où il se révèle, soit quelques vingt années après l’écriture de l’épître. L’Histoire se retrouve ici en quelque sorte devancée.

Ces arguments plaident en faveur de l’hypothèse de l’interpolation tardive du texte (pour ne pas dire falsification), supposant l’intervention d’un copiste pour insérer le témoignage de la séparation des mondes juif rabbinique et nazaréen.

Le roman des origines 

Les spécialistes s’accordent sur le fait que l’auteur de l’évangile de Luc et celui des Actes des Apôtres sont une seule et même personne, pour une bonne partie tout au moins. Les deux livres feraient état de nombreuses figures stylistiques communes, et constitueraient une unique œuvre établissant un parallèle entre les missions de Jésus et de Paul.

Ils ne sont en revanche pas à interpréter comme des écrits historiques mais comme s’inscrivant dans une historiographie au sens création de l’histoire antique, avec la subjectivité qu’elle implique. L’auteur cherche à convaincre en s’adressant à Théophile, envisagé tantôt comme riche mécène rémunérant les copistes, tantôt comme personnage fictif se prénommant « Qui aime Dieu ».

Mais qui est Luc ? Dans l’épître aux Colossiens, les salutations d’un Luc ami médecin sont rapportées. Certes l’auteur des Actes emploie à quelques reprises le « nous » laissant ainsi présupposer la compagnie de Paul, mais le manque d’intérêt de l’auteur pour la théologie paulinienne en fait pour beaucoup quelqu’un de plus lointain. Les traducteurs s’opposent sur la traduction du verbe accompagner, ne faudrait-il pas en fait plutôt le comprendre comme suivre attentivement Paul dans ses pérégrinations ?

Que nous disent les Actes ?

Dans Actes l’accueil des juifs en la croyance de Jésus diminue à mesure que celui des païens s’accroit. La synagogue ne reçoit pas le message de Paul, rejette sa prédication. Paul est dénoncé, lapidé, flagellé.

Que veulent-ils ainsi démonter ?

L’auteur en même temps qu’il témoigne de la trajectoire de Paul de juif zélé à prédicateur de la foi en Jésus, illustrée par de multiples voyages depuis Jérusalem jusqu’à Rome terme de son voyage et de sa vie, légitime sa mission en l’ancrant dans ses origines judéennes, montrant que l’identité chrétienne ne peut se comprendre que dans son rapport à ses racines juives, tout en inscrivant paradoxalement les juifs dans le rôle des méchants comme si l’arrivée de la bonne parole à Rome devait se faire au détriment du culte premier.

Les Actes sont supposés être écrits autour de 80-90 soit 10-20 ans après la chute du Temple, tandis que le judaïsme est encore en cendres. Ne s’agit-il pas pour l’auteur à Théophile de se saisir de l’histoire pour signifier que la page avec Israël est désormais tournée pour les chrétiens du monde hellénique éloignés de la Palestine ?

Les derniers versets des Actes sont sur le sujet parfaitement explicites :

« C’est avec raison que le Saint-Esprit, parlant à vos pères par le prophète Esaïe, a dit : Va vers ce peuple, et dis : Vous entendrez de vos oreilles, et vous ne comprendrez point. Vous regarderez de vos yeux, et vous ne verrez point. Car le cœur de ce peuple est devenu insensible. Ils ont endurci leurs oreilles, et ils ont fermé leurs yeux, de peur qu’ils ne voient de leurs yeux, qu’ils n’entendent de leurs oreilles, qu’ils ne comprennent de leur cœur, qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse. Sachez donc que ce salut de Dieu a été envoyé aux païens, et qu’ils l’écouteront »

La perspective ainsi adoptée et les châtiments infligés à Paul ne participent-ils pas du parallélisme établi entre ce dernier et Jésus, dont il a été également écrit que son arrestation et son exécution s’étaient alors faites sur ordre des juifs ?

Toutefois la question de la surexposition de Paul ainsi isolé se pose à nouveau. La bonne nouvelle n’a en fait nul besoin du passage de Paul à Rome pour atteindre la Cité. Le récit nous raconte que Paul a lui-même préalablement écrit aux Romains. Enfin les Actes ne semblent être connus qu’à partir de 160, et les écoles théologiques de Rome ne semblent pas les connaître en l’état antérieurement à cette date, donc avant que la séparation entre judaïsme et christianisme ne soit beaucoup plus d’actualité.

Rupture avec le judaïsme  

Paul est-il donc l’inventeur du christianisme, ou est-il plus simplement une figure opportunément et rétrospectivement utile pour instituer cette identité dissidente ou secte à l’intérieur du judaïsme en nouvelle religion ?

Pour les juifs la tentation est grande de différencier Jésus et Paul, et de faire du second un traitre. Pour les chrétiens les deux sont des réformateurs du judaïsme, ce qui ne les en exclut nullement même si les évènements postérieurs le feront.

Les écrits attribués à l’apôtre et transmis, permettent les deux interprétations. Dans sa mission et selon les spécialistes, il adapte son discours à son auditoire, aux différentes communautés/catégories culturelles, théologiques et spirituelles auxquelles il s’adresse. Certains voient dans cette réinvention permanente de la proclamation de la résurrection de Jésus-Christ du génie. D’autres perçoivent plutôt une rhétorique multiforme et opportune. La construction théologique de Paul, et sa prédication établissant la foi en Jésus comme véritable judaïsme, est en effet un échec en Israël.

Comment Paul est-il défini au regard des trois piliers du judaïsme, qui sont l’importance de la terre, du peuple et de la pratique ?

Pour Paul l’occupation étrangère de la terre sacrée n’est pas un problème, le vrai Temple n’est pas celui de Jérusalem, Dieu séjourne en chacun, les chrétiens sont le Temple, le Christ en est la voute, laquelle s’étend sur le monde entier. Il en est de même pour la filiation à Abraham qu’il analyse comme une métaphore, ce qui compte c’est être fils d’Abraham dans l’esprit. Nous savons déjà ce qu’il en est également de la pratique de la loi mosaïque. Il est donc difficile de situer Paul en dehors de la rupture des communautés chrétiennes avec le judaïsme, même s’il ne l’a pas lui-même actée.

A ce stade Paul ne fait pas autorité de par sa théologie mais plutôt en tant que missionnaire, au point sans doute de lui attribuer certaines épîtres (aux Ephésiens, aux Colossiens), et de se saisir ainsi de son aura de prédicateur, pour développer des récits légendaires comme celui de Thècle d’Iconium, voici ce qu’en dit brièvement wikipédia :

« Thècle est une jeune vierge, convertie par Paul. L’apôtre est en effet de passage à Iconium où il enseigne la foi chrétienne dans une maison voisine de celle de Thècle. Cachée derrière une fenêtre, celle-ci l’écoute, et après trois jours passés ainsi, elle est convaincue par les propos de Paul sur la virginité. Elle choisit donc de rompre ses fiançailles et de se convertir, décision qui provoque la colère de sa mère et de son fiancé : ils la dénoncent au gouverneur. Paul est chassé de la ville et Thècle condamnée au bûcher. Mais elle est sauvée par un orage providentiel, la pluie et la grêle éteignant le feu, et elle part retrouver Paul. À Antioche, elle se refuse à un magistrat tombée amoureux d’elle, le frappe en public, si bien qu’elle est condamnée à être dévorée par les lions. Mais une lionne la défend, et les femmes dans le public endorment les bêtes sauvages au moyen de leurs parfums. Elle se coupe ensuite les cheveux et se travestit en homme pour rejoindre Paul qui accepte qu’elle prêche » 

Si Paul n’est pas l’inventeur du christianisme, Marcion est peut-être celui du nouveau testament. Qui est plus précisément ce Marcion ? Au milieu du deuxième siècle, il existe trois écoles chrétiennes de théologie à Rome, dont celle dudit personnage, riche armateur, fils de l’évêque de Sinope en Asie mineure. Pour Marcion, Paul est le seul à avoir compris le message de Jésus, les apôtres ont trahi son prêche, les juifs chrétiens sont des faux chrétiens qui passent leur temps à falsifier les lettres de Paul. Il se fixe pour mission d’expurger les textes de toute référence au judaïsme, et de déterminer les textes devant servir de référence quant à la prédication de Jésus. Le premier canon est ainsi constitué de dix épîtres et de l’Évangile de Luc.

Même si l’Église s’en démarquera plus tard, les théories de Marcion auront alors une influence déterminante.

En bref : vers le Verus Israël

En résumé – entre la première guerre judéo-romaine prenant fin avec le pillage et la destruction par incendies de Jérusalem par les légions romaines de Titus, et la seconde dite révolte de bar Kokhba (132-135) éclatant suite à l’interdiction de la circoncision à tous les peuples de l’Empire par Hadrien – le paysage spirituel de l’Empire se compose dans la région principalement  de païens (non-monothéistes), de craignant-Dieu (gentils convertis au christianisme mais ne pratiquant pas les rituels de la loi mosaïque), de judéo-chrétiens (juifs croyant à la prédication de Jésus et pratiquant les commandements de la Torah) et de juifs. En même temps qu’ils s’organisent ou se réorganisent, que les émeutes se multiplient, tous vont devoir se positionner les uns par rapport aux autres.

Le judaïsme devient plus monolithique, les zélotes (les opposants à l’occupation romaine), les saducéens (l’aristocratie sacerdotale du Temple) et les esséniens (dont on perd la trace), du fait des circonstances historiques successives, font place aux initiateurs de la tradition orale de la Torah, préfigurant la tradition rabbinique. Les chrétiens, ni païens ni juifs, chassés des synagogues s’interrogent sur l’identité commune de leurs communautés plurielles.  Les judéo-chrétiens, héritiers de Jacques, frère de Jésus, hérétiques pour les uns et les autres, sont condamnés à la marginalisation, et donneront naissance sur la rive Est du Jourdain à quelques courants hétérodoxes, qui seraient à l’origine d’un texte que l’on appelle le Coran. Jésus y précède Mahomet. Plusieurs sourates font mention de sa naissance miraculeuse, et de sa mort par crucifixion comme une illusion. Cette hypothèse demeure toutefois insuffisamment explorée, les études sur l’Islam abandonnant l’araméen au profit de l’arabe, et d’une approche plus autocentrée et orthodoxe.

Pour les Romains le christianisme est plus une nouvelle superstition qu’une religion ancrée dans le temps et les traditions. L’appellation de chrétiens est même synonyme de criminels. Ils sont des juifs messianiques devenus autonomes, partisans d’un agitateur qu’ils ont jadis crucifié. Leur influence grandissante à mesure que la secte croît dans la société civile, devient embarrassante. Pline le jeune, sénateur et avocat célèbre pour ses lettres, témoigne de cet embarras. Désemparé face à cette nouvelle communauté ni païenne ni juive, il requiert l’avis de Trajan alors empereur. Doit-il continuer de les exécuter, quitte à dépeupler la province de Bithynie et Pont dont il est le gouverneur impérial ?

L’erreur des hérétiques, des gnostiques, des dualistes, des marcionistes est de récuser l’ancien testament, alors que sa conservation permettrait aux mouvements chrétiens de passer du statut de religion illégitime, donc illégale à celui de religion autorisée, dans le monde romain.

Justin de Naplouse, puis Irénée de Lyon, des apologistes chrétiens du deuxième siècle le comprendront. C’est pourquoi ils combattront le judaïsme toute en revendiquant paradoxalement pour le christianisme, le fait d’être le véritable Israël, alliant ainsi l’ancienneté à la nouveauté, expliquant combien sont mauvaises la compréhension de l’ancien testament et la connaissance de Dieu par les juifs, les dépossédant par la même du statut de peuple élu. Autant d’arguments absents du nouveau testament, encore trop novateurs, et qui pour la période n’éviteront pas le martyr à leurs auteurs.

Conclusion

En conclusion en usurpant l’identité du peuple juif, les proto chrétiens ne procèdent-ils pas au premier grand piratage de données de l’histoire de notre ère ?

Ainsi la petite secte juive méprisable pour les Romains deviendra une religion, et quatre siècles plus tard la religion officielle de l’empire. Cette dernière séquence fera l’objet du troisième volet de l’exposé.

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