Travaux

Les biens communs

La notion de «Bien commun» est une notion plus complexe qu’il n’y paraît : elle peut se définir d’un point de vue théologique, d’un point de vue philosophique et d’un point de vue Politique.

D’un point de vue théologique, cette notion remontrait au Moyen Age et à Saint Thomas d’Aquin selon lequel toute la création, toute l’activité humaine est orientée vers un bien suprême avec une dimension matérielle, sociale, et politique. Dieu serait donc le premier « bien commun » universel. L’église a ensuite maintenu cette référence et Jean XXII, par exemple, défini le bien commun comme « l’ensemble des conditions sociales permettant d’atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement ». Cette définition sera ensuite reprise quasiment dans les mêmes termes par le concile Vatican II, et cette notion de bien commun revient très régulièrement dans la doctrine sociale de l’église catholique.

D’un point de vue philosophique, Aristote s’attarde particulièrement sur cette notion de bien commun qu’il identifie au bonheur, et à la vie vertueuse, au juste et à la paix. Dans «La Politique », le bien commun apparaît comme le critère absolu de la droiture des régimes : Les régimes droits visent le bien commun, tandis que les régimes corrompus visent l’intérêt privé. Il n’est de véritable Politique que si celle-ci vise au bien commun, tout le reste n’étant que déviation.

A ce stade de réflexion, j’aurais pu décider de tirer à la ligne, et il m’aurait été assez facile de « tartiner » et de vous faire subir des pages et des pages sur l’aspect religieux ou philosophique de ce concept, mais vous le savez, la religion s’apparente pour moi a de « l’escrologie » et il serait donc malhonnête de ma part et sans grand intérêt de traiter le sujet plus en détail en utilisant cet angle de vue.

L’aspect philosophique de la question est certes largement plus intéressant, mais pas véritablement à ma portée : Si l’on veut aborder un tel sujet d’un point de vue philosophique, il ne faut pas se contenter de quelques extraits, récupéré ça et là, mais il est indispensable non seulement d’avoir étudié les principales œuvres et pensées des grands philosophes, mais aussi d’être ensuite capable de replacer ces réflexions dans le contexte de l’époque et enfin seulement de tenter d’adapter ce travail au monde dans lequel nous vivons actuellement.

Il reste donc l’angle de vue Politique, avec un P majuscule, pour aborder cette notion de bien commun.

Il s’agit très certainement de la seule notion qui est partagée, sans aucune exception par l’ensemble des partis politiques, quelle que soit leur orientation, leur doctrine. Tous ont pour ambition, affichée du moins, d’œuvrer pour le Bien Commun. Cependant, cette notion n’a rien d’universel et peut très largement varier en fonction de l’époque, et des cultures. Il convient de rester vigilant car les pires répressions peuvent être facilement justifiées au nom du bien commun. Il ne faut pas perdre de vue le fait que cette notion peut avoir des conséquences dramatiques à partir du moment où un individu, un pouvoir, cherche à imposer par tous les moyens sa propre conception du bien commun. C’est ainsi que naissent les guerres de religion, les croisades, les massacres, les régimes totalitaires…

Pour aborder cette notion de bien commun plus facilement mais surtout plus concrètement, une option est de passer cette expression au pluriel, et donc de parler des Biens communs. Qu’est-il possible ou souhaitable de considérer comme des biens communs ? Comment les définir ? Qui est en mesure de le faire ? Comment les gérer ? Quelles sont les implications de la reconnaissance de l’existence de biens communs dans une société ?

Le premier exemple qui vient à l’esprit lorsque l’on parle de biens communs est très certainement celui des ressources naturelles qui sont indispensables à la vie comme l’eau, l’air, ou même notre planète dans son ensemble. Ces biens devraient être très logiquement protégés et exclus de toute marchandisation ou spéculation afin de rester disponibles et accessibles à tous sans aucune exclusion.

C’est dans cet état d’esprit que l’organisation «Le Mouvement Européen pour l’eau» a publié avec l’appui de plusieurs parlementaire européen en 2014 un Manifeste qui déclare : « Les biens communs sont universels, ils appartiennent à tous et ne doivent en aucun cas être accaparés par des autorités et/ou des intérêts privés. […] Par définition, les biens communs appartiennent à la collectivité »

Il est d’ailleurs possible d’élargir cette définition à d’autres secteurs que celui de l’eau comme par exemple ceux de l’utilisation des terres cultivables, de l’éducation, de la santé, de l’énergie, des services publiques et même être encore élargie a d’autres domaines comme l’Art ou la connaissance.

Finalement ce ne sont pas les biens en eux même qui doivent être considérés comme commun, mais plutôt leur utilisation.

Cependant, le véritable défi consiste à ne pas en rester à de belles déclarations suivies généralement de très peu d’effets et protéger ces biens, les développer tout en les excluant de toute marchandisation ou spéculation ? Comment gérer ces biens, comment les entretenir, les développer, comment éviter le gaspillage ou l’utilisation à outrance et qui pourrait être en mesure de le faire ?

La tendance libérale actuelle dominante dans laquelle tout doit être considéré comme une marchandise ayant un prix déterminé pour générer le maximum de profit, et géré par le jeu de l’offre et de la demande, et dans laquelle l’Etat est considéré comme le SAMU social de ses activités, montre quotidiennement son incapacité à s’emparer sérieusement de tels enjeux : Il suffit de regarder la dégradation écologique de notre planète et l’explosion des inégalités et pour s’en convaincre.

Ceci dit, une gestion par l’Etat de ces biens communs n’est guère plus convaincante puisque dès qu’une gestion de ces biens communs est assurée par l’état, celui-ci s’empresse de former des alliances pour les brader plus ou moins discrètement aux grands groupes privés comme c’est le cas avec l’eau, les terres cultivables, l’énergie, les transports, la santé, ou même l’information et la Culture.

Comment sortir de cette impasse qui consiste à reconnaître l’importance des biens communs quelque que soit le système politique et économique en place, et de constater les énormes difficultés pour les préserver et de les développer de l’autre, que ce soit grâce à l’Etat ou au secteur privé ?

Une piste à explorer est peut-être de se référer au slogan « Penser global, agir local » qui est attribué à René DUBOS, un agronome et biologiste qui a participé aux travaux du premier sommet sur l’environnement en 1972. Utilisé au départ pour parler des enjeux du développement durable ce slogan peut lui aussi être élargi facilement à d’autres secteurs et notamment celui qui nous intéresse ici : les Biens communs.

Ce concept du «Penser global, agir local » a été également développée par Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie qui constate que des groupes d’individus sont capable de s’organiser pour gérer des ressources communes lorsqu’ils ont eux-mêmes déterminés les règles de fonctionnement, avec une définition claire de l’objet de la communauté et de ses membres, une participation réelle des utilisateurs à la modification des règles, et un accès rapide aux instances locales chargées des résolutions de conflits, des règles au final qui ne sont que du bon sens.

Il s’agirait de définir à un niveau supérieur (Etat, Région…) ce qui doit être considéré comme des biens communs, tout en restant lucide sur le peu d’efficacité de ces grandes déclarations d’intentions non contraignantes et en s’appuyant s’appuyer sur des actions locales pour gérer les biens communs, les entretenir et les développer. Cette approche locale offre l’avantage de pouvoir mesurer directement les conséquences de nos actes, de notre consommation, de nos engagements et également d’inclure dans ce périmètre des « Biens communs » des secteurs qui n’auraient pas été déclarés comme tels à un niveau plus élevé.

Il s’agit donc de définir ce qui doit être considérés comme des biens communs, à mon sens les ressources naturelles, l’énergie, les transports, la culture, cette liste n’étant bien entendu pas exhaustive, puis ensuite de constituer un groupe chargé de gérer ces ressources et d’élaborer des règles d’utilisation, de préservation et de développement de la ressource en question. L’aspect très local a toute son importance puisqu’il permet de décider avec les utilisateurs et de régler beaucoup plus facilement les conflits qui sont par nature plus rares puisque les règles ont été définies en commun par des acteurs directement concernés, de plus il offre l’avantage de tisser des liens réels entre les individus qui deviennent de réels acteurs des projets dans lesquels ils s’impliquent d’autant mieux qu’ils mesurent quasi instantanément les retombées de leurs actions.

Notons au passage pour rassurer les fétichistes de la loi du marché et les défenseurs inconditionnels de la propriété privée qu’il ne s’agit pas nécessairement de les remettre en cause mais plutôt de considérer qu’une partie des biens ou de leur utilisation doivent être mise en commun.

Pour prendre un exemple plus concret, si nous revenons à l’exemple de l’eau ou de l’énergie, il serait tout à fait possible d’imaginer de n’enclencher la facturation qu’à partir moment ou un seuil de consommation considéré comme « vital » et indispensable à tout être humain est dépassé. S’il est vraiment indispensable de préserver les intérêts des actionnaires allergiques à toute notion gratuité, rien n’empêche d’ailleurs de récupérer le coût de telles mesures sur le prix des consommations qui dépassent ce seuil minimal. Il serait tout à fait envisageable d’élargir ce système à d’autres secteurs d’activités.

Un tel système de gestion collective et locale des biens communs peut sembler très idéaliste et inapplicable, pourtant de nombreux exemples prouvent que cela peut fonctionner.

Premier exemple : Une société considérée comme un bien commun : En 1984, 6 personnes décident de créer un lieu de travail en commun autour de l’exploitation et de la transformation du bois dans lequel les travailleurs seraient égaux. 4 ans plus tard ce lieu de travail devient Ambiance Bois, une société crée sous forme de SAPO (Société Anonyme à Participation Ouvrière) dans laquelle toutes les décisions sont prises localement et en commun par la 30aine de salariés. L’ensemble des participants à cette société a décidé de ne sélectionner que les forestiers qui fournissent la matière première dans un rayon de 50 km maximum à la ronde pour développer l’activité locale et uniquement s’ils respectent une gestion durable de la forêt. Même si la société vend ses produits dans la France entière, les marchés locaux sont toujours privilégiés.

Dans cette société, chaque décision est prise à l’unanimité, tout le monde a le même salaire : un peu plus que le SMIC avec une mutuelle prise en charge par la société, des temps partiels réellement choisis parce que « la vie, ce n’est pas que le travail » pour reprendre l’expression d’un des salariés lors de ma visite. Chaque salarié est polyvalent et peut très bien travailler aujourd’hui à la livraison ou à la découpe du bois et demain à un poste administratif. Le PDG, soumis au même régime, est tiré au sort tous les deux ans parmi volontaires et est plus une obligation légale qu’un réel dirigeant.

Nous sommes donc en présence d’un système utopique et idéaliste peut-être, mais qui fonctionne parfaitement depuis plus de 35 ans.

Autre exemple : « Monnéger », un hameau de moins de 100 habitants essentiellement constitués de paysans, de petits agriculteurs. Juste après la guerre, l’eau courante tarde à arriver dans les maisons toutes éloignées du bourg de la petite ville la plus proche. Quelques copains décident alors de créer un réseau local d’eau potable en l’alimentant à partir d’un captage effectué à proximité. Toutes les maisons sont ainsi rapidement alimentées en eau courante. Le réseau de distribution est quant à lui parfaitement entretenu par ses habitants en fonction de leurs compétences. Une cotisation modeste est demandée pour faire face à toute dépense inattendue et à l’achat éventuel de matériel. Toutes les décisions concernant l’entretien et l’organisation de ce réseau sont prises en commun lors d’une réunion qui se termine généralement par un repas convivial. Tous les habitants ont une entière liberté pour souscrire ou pas à l’utilisation de ce réseau mais ce principe a séduit quasiment l’ensemble des habitants. Lorsque l’eau courante arrivera officiellement dans les maisons des années plus tard, les habitants luteront et réussiront à conserver leur propre réseau en parallèle du réseau officiel qui leur est imposé en procédant à tous les contrôles règlementaires pour attester de la qualité de leur eau souvent supérieure à celle du réseau officiel. Il y donc eu pendant de nombreuses années deux réseaux d’eau indépendant dans chaque maison.

La SAUR, Société d’Aménagement Urbain et Rural, propriété d’un des plus importants fonds d’investissement nord européen finira, à force d’intimidation, par avoir la peau de ce réseau local auto-géré. Cette gestion locale d’un bien commun aura tout de même fonctionné pendant plus de 60 ans de façon complétement transparente et sans abus, en réglant rapidement les conflits qui n’ont pas manqué de survenir, et aurait pu perdurer des dizaines années encore avec un minimum de volonté politique si la population n’était pas vieillissante et en constante diminution.

Dernier exemple : celui des logiciels libres : Jusque dans les années 70 les constructeurs informatiques avaient pour habitude de former des groupes d’utilisateurs et de les inciter à partager entre eux leur expérience. Ces technologies étant réellement nouvelles, les seules formations existantes, étaient proposées par les fabricants. Ceux-ci ont donc très vite mesuré l’intérêt que pouvait avoir l’apparition de véritables communautés d’utilisateurs, qui se transformaient pour certains d’entre eux en véritable évangélistes chargés non seulement de répandre la bonne parole mais aussi de récolter ainsi des informations importantes qui pouvaient ensuite être utilisées pour développer de nouveaux produits

Entre la fin des années 1970 et le début des années 80 se produit une véritable révolution technologique avec l’apparition du premier PC (Personnal Computer), l’ancêtre de celui que vous avez tous sur votre bureau aujourd’hui. Dès 1976 Bill Gates, déclare : «Nous avons écrit le BASIC pour le 6800, nous écrivons l’APL pour le 8080 et le 6800 mais il est très peu stimulant de le mettre à disposition des hobbyists. Plus directement ce que vous faite est du vol». Les éditeurs de logiciels s’orientent rapidement vers la vente très juteuse de licence d’utilisation.

Les logiciels jusqu’alors librement échangés ne peuvent donc plus être partagés légalement, et il devient impossible d’améliorer ou même simplement d’étudier le fonctionnement de logiciels pourtant légitimement acquis. Richard Stallman, un chercheur américain dans un laboratoire d’intelligence artificielle est particulièrement sensible à cette évolution puisqu’il ne lui est plus possible d’échanger des logiciels avec ses collègues qui travaillent sur les mêmes projets. Sans trop rentrer dans les détails, Richard Stallman définit alors la notion de logiciel libre et va progressivement créer un cadre juridique qui permet le libre partage d’un logiciel, tout en empêchant son intégration dans des produits non partageables. Nous sommes bien directement dans la définition de ce que peut être un bien commun puisque 30 ans plus tard vous pouvez toujours utiliser librement des logiciels aussi performants que les logiciels commerciaux et si vous avez les compétences techniques vous avez même la possibilité de les améliorer.

L’exemple des logiciels libre est très intéressant car il prouve également qu’il est possible d’inventer de nouvelles formes juridiques en cas de besoin pour répondre aux questions de la réglementation de l’accès à certains bien considérés comme « communs » et de créer ainsi les moyens de protéger les accès et d’éviter les abus.

Ces quelques exemples que j’aurais pu multiplier encore ainsi que toutes les initiatives de développement des biens communs représentent un poids économique totalement négligeable, mais ils ont le mérite démontrer que rien n’est impossible, quel que soit le secteur d’activité et le système économique ou politique en place.

Définir les biens communs, les développer tout en les préservant n’est pas simplement un problème politique ou un problème financier ou économique mais juste un problème humain, un problème de volonté et une façon de concevoir la vie

Certes ce type de démarche est très largement facilité s’il y a une réelle volonté politique de l’appliquer à un niveau national ou mieux international, mais rien n’empêche de commencer à y travailler pour retourner la formule et agir local dès maintenant pour réellement parvenir à influencer le global.

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