Laïcité, Travaux

Si la défense de la laïcité est une nécessité, le risque d’en faire un dogme existe-il?

eglise-mairieLa laïcité est à la fois une éthique et un ensemble de règles juridiques relatives au fonctionnement de l’Etat et des services publics. Elle pourrait se synthétiser par la séparation stricte des sphères privées et publiques.

Elle a été instituionnalisée en France par la loi de 1905, qui a séparé l’Etat des religions, complétant ainsi un ensemble de lois de laïcisation : état-civil depuis la Révolution, hôpitaux, écoles, enterrements, etc… depuis 1880.

Les valeurs de l’éthique laïque sont la liberté absolue de conscience, l’indépendance de l’esprit, le respect de la différence et la tolérance dans la mesure où celle-ci est réciproque et sans laxisme.

Le statut laïque d’un Etat ou d’une institution suppose son indépendance à l’égard des influences, hiérarchies et organisations religieuses.

La laïcité de la vie sociale réclame que tout ce qui touche au religieux soit du domaine privé (et donc individuel et facultatif), et que tout ce qui concerne la vie publique, civique et politique soit préservé des influences religieuses et communautaires.

Alors soyons un peu provocateurs, et interrogeons-nous : et si nous faisions de la laïcité un dogme, cela serait-il un danger ? Un Mal ?

Selon la célèbre encyclopédie libre,

« un dogme est une affirmation considérée comme fondamentale, incontestable et intangible par une autorité politique, philosophique ou religieuse qui emploiera dans certains cas la force pour l’imposer. Historiquement, le dogme a été une formulation d’un article de foi, utilisé lorsque le critère de conformité à la foi devait être utilisé par le pouvoir judiciaire, lorsque le pouvoir temporel (historiquement, l’Empire romain d’Orient) sanctionnait pénalement les déviations par rapport à l’orthodoxienote.

Dans son sens propre, le mot « dogme » est d’origine philosophique avant de devenir religieux avec le christianisme. Certaines croyances non religieuses sont souvent appelées « dogmes », notamment en politique ou en philosophie. Cet usage est en général péjoratif et sous-entend que les gens soutenant une telle croyance le font par conformisme et/ou sans possibilité d’une critique. »

Dés le cinquième mot de cette définition, la question tombe : la laïcité n’est pas une affirmation.

Plus qu’un modèle théorique de l’organisation sociale, la laïcité est également une émanation extrêmement pratique des constations relatées par tous les historiens : les constructions cléricales de la société finissent toutes dans la méfiance mutuelle, la confrontation et la barbarie. A l’opposé, la laïcité assure à chacun la liberté de pratiquer la religion de son choix, ou d’en avoir aucune, et assure que nul ne pourra être inquiété en raison de ses choix métaphysiques. Le renvoi de la question confessionnelle au seul domaine personnel démontre au quotidien sa capacité à garantir la cohésion, le vivre ensemble.

La laïcité ne recherche pas l’hétérodoxe pour l’oscir ou censurer ses propos. Elle accepte le débat et s’en nourrit. Elle est un contrat social. Il s’agit d’une règle qui permet d’exister avec l’autre et qui permet à l’autre d’exister. Il ne peut y avoir de vivre ensemble sans l’acceptation de la contrainte induite par la présence de l’autre. Nul n’impose rien, personne n’impose rien à autrui, ni ne nie à autrui ses libertés, mais les libertés de chacun sont mutuellement contraintes par l’existence de l’autre. Sans cela, nous serions dans la simple application de la loi du plus fort.
Elle réfute la connaissance a priori pour lui substituer la démarche rationnelle, la quête perpétuelle, itérative de la vérité.

Et nous comprenons alors que ceux qui, hors de nos temples, formulent ainsi la question ne sont pas de simples provocateurs. Chacun comprend bien le côté péjoratif du dogme. Chacun peut aisément vérifier en quoi essayer d’intégrer la laïcité dans le champs lexical de la religion revient à en nier l’essence.

Le fait de qualifier la laïcité, que ce soit celle que certains appellent de leurs vœux (laïcité ouverte, laïcité inclusive, laïcité souple, …), ou celle que l’on dit dénoncer (laïcité intransigeante, laïcité intégriste, laïcité dogmatique, …) induit l’amoindrissement de la vraie laïcité, celle qui ne supporte pas d’adjectif, celle qui dit son nom en toute simplicité, celle qui qui respecte ce qu’elle est en se conformant à son essence.

Il suffit pour s’en convaincre de transposer cette démarche d’adjectivation sur d’autres sujet pour se convaincre de son but. Qui n’hurlerait pas face à une hypothétique dénonciation des droits de l’homme dogmatiques ou à une tout aussi hypothétique glorification de la pédophilie positive ? Nous comprenons bien l’artifice linguistique qui pousse à se focaliser sur l’adjectif et non plus sur le nom, qui est alors vidé de sa substance.

Derrière la guerre sémantique, c’est la guerre idéologique qui se profile. Car comme le disait Gramsci, celui qui adopte le vocabulaire adopte les concepts. Et voici donc que pointent derrière le piège de l’évidence (qui pourrait être a priori contre quoi que ce soit de tolérant?) le communautarisme, la différenciation des droits en fonction de la communauté, la fin de l’unicité de la république et de l’égalité des citoyens face à la loi. Bref, la fin de la république.

Les tenants de cette vision cherchent à affirmer la supériorité de liberté de culte sur la liberté de conscience et les lois de la république. En république, la loi commune doit continuer de s’appliquer à tous et à s’imposer fac aux textes religieux qui lui seraient contraires. Par exemple si une religion interdit à ses adeptes la transfusion sanguine, le fait d’empêcher la promulgation de soins, incluant la transfusion sanguine, à leurs enfants au motif de leur foi religieuse n’en reste pas moins un délit de non assistance à personne en danger punissable par la loi. Il n’y a plus rien de privé dans cet acte, et la loi doit passer au dessus du libre exercice du culte.

Notre critique de la question ne serait pas complète si nous ne mentionnions pas son caractère restrictif en limitant le combat laïque à la défense de la position actuelle. Là aussi, la sémantique vise à dénigrer la laïcité, ancrant ses tenants dans un passé, qui les opposerait aux pragmatiques, adeptes de la modernité qui sous tendrait nécessairement une organisation communautarisée de la société. Notre vision est au contraire que la laïcité, au delà de la défense des conquêtes réalisées, doit continuer d’ étendre son champs d’application. C’est notamment le cas dans les domaines du droit de la famille (procréation médicalement assistée pour les couples de même sexe, gestation pour autrui, …) et de la bioéthique (gestion de la fin de vie, suicide médicalement assistée, droit à l’euthanasie, …).

En conclusion, et en conscience, nous disons qu’il n’existe aucun risque de voir la laïcité transformée en dogme. D’une façon plus générale, nous considérons qu’il n’existe pas de risques d’excès de laïcité. Nous ne sommes pas ici en présence d’un nectar, certes délicieux, mais dont la surconsommation provoquerait tout de même une crise de foie. Nous sommes bien en présence du ciment de la société pacifiée, de la condition sin equa non de son fonctionnement apaisé. Considérant que toutes les religions partagent la caractéristique d’être dogmatiques et à vocation liberticide lorsqu’elles sont érigées en système législatif, nous considérons que le seul risque est de voir la réaction et le cléricalisme gagner du terrain, en avançant masqué, et parfois avec l’aide de certains naïfs.

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