Travaux

Homo musica

Eva chantait-elle des chansons douces à Adam ? Le Serpent a-t-il fait succombé l’heureux couple en sifflant « La Paimpolaise » ou encore « Besame mucho » ce qui lui valut d’être condamné à succomber à son tour au charme de la flûte du fakir ? Voici 2 questions majeures que je me suis posées en abordant ce travail, en tâtonnant « diablement » je l’avoue. Après avoir hésité entre faire un docte exposé sur la théorie musicale et l’évolution du solfège à travers les âges, d’une part, et transformer notre vénérable Temple en salle de concert maçonnique de nos vénérables FF :. ou amis [attention concours d’érudition musico-maçonnique facile pour tout F :. ! : Wolfgang…M, Franz… Liszt, Rouget… de Lisle, Jean (plus difficile) Sibélius, Louis …Armstrong, Duke…Ellington, Cab …Calloway, Glenn…Miller, etc. (non ce n’est pas un prénom] me contentant d’officier en tant que « chargé de la colonne d’harmonie » ou mieux en night club où j’aurais officié sous le pseudo de « DJ Dan » très tendance. Finalement, je me suis résolu à adopter, ce que d’aucun pourrait considérer ici, comme la « voie du milieu ». Le thème est venu un peu comme un défi  mais c’est finalement une juste punition considérant que je vous inflige depuis tant d’années mes goûts musicaux discutables (comme tous les goûts…) au cours de nos Tenues et Cérémonies. En effet, mon goût tout particulier pour la musique m’ayant conduit à hériter de cette fonction hautement enviée dans tout At :. N’est-ce pas mes FF :. ? A vrai dire c’était soit moi soit l’accordéon de notre F :. Bruno…

Depuis plusieurs mois, suite à mon changement de fonction professionnelle, je m’étais investi, sans doute par souci de protection, comme jamais dans la pratique instrumentale et la composition (certes un bien grand mot pour décrire mon modeste talent » musicale. J’y passe une grande partie des week-end et souvent quelques soirées/nuits pendant la semaine. Je faisais le constat que ma plus grande satisfaction émotionnelle résidait dans ce lien fort avec la musique quitte, parfois, à occulter le reste du monde.

Me promenant parmi les rayons de cette grande enseigne culturelle fondée par 2 troskystes émérites, Max Théret et André Essel (décidément la politique mène à tout), je découvre le livre « Musicophilia » (Ed. Seuil) d’Oliver Sacks neurologue américain. Le sous-titre en est « La musique, le cerveau et nous ».
Cela a éveillé en moi ce besoin de comprendre mon aptitude, voire mon addiction, par rapport à la musique sachant, au fond de moi-même, que cette caractéristique était partagée avec pratiquement l’intégralité de l’Humanité, passée, présente et …Future.
Je suis donc ici devant vous pour partager mes découvertes. Je considère ce travail comme très préliminaire et je suis certain que j’aurai d’autres opportunités futures de creuser plus spécifiquement certains aspects que je ne ferai qu’effleurer ici.

«Qu’il est étrange que des milliards d’individus – une espèce entière – jouent et écoutent des motifs sonores dénués de signification, ce qu’il est convenu d’appeler “musique” les occupant ou les préoccupant à longueur de temps!». Arthur C. Clarke, dans les Enfants d’Icare, met en scène les Suzerains, extra-terrestres hautement cérébraux, qui ne parviennent pas à comprendre ce qui se passe chez les humains qui font ou écoutent de la musique : les Suzerains n’ont pas le sens de la musique. Et pourtant « ce truc qualifié de musique est non seulement utile aux humains mais certainement essentiel à leur existence »…L’origine de la musique humaine est moins facile à cerner que l’utilité des chants des oiseaux par exemple (cour, agression, marquage de territoire, …). Darwin était dérouté et écrivait dans La Descendance de l’Homme « l’aptitude à produire ou écouter des notes musicales n’est d’aucune utilité directe et finalement c’est une des facultés les plus mystérieuses de l’homme ». Nous reviendrons sur cet aspect en conclusion. Pour certains auteurs nos aptitudes musicales n’ont pu se développer que par l’utilisation, la mobilisation de systèmes cérébraux précédemment destinés à d’autres fins.

Pourquoi aimons-nous la musique et comment interagit-elle avec notre cerveau?

Poser cette question est «une manière de comprendre les mystères les plus profonds de la nature humaine».

Homo musica avant d’être Homo sapiens ? nous sommes indubitablement une espèce musicale capable de percevoir les sons, le timbre, les intervalles, la mélodie, l’harmonie, le rythme : tous ces éléments qui rassemblés par notre cerveau, en se servant de différentes zones (j’y reviendrai plus tard), construisent la musique pour notre esprit et nos émotions. Ecouter de la musique est également une activité motrice, notre être se met au rythme de la musique quasi involontairement : Nietzche écrivait « on entend avec les muscles » et (pardonnez-moi je ne peux pas résister à vous compter l’anecdote) un autre philosophe contemporain Shakira avouait à un journaliste que lorsque qu’elle écoutait de la musique « ses fesses commençaient à bouger avant que son cerveau ne capte les premières notes ». Sic.

Des origines de la musique et son évolution

Dans cette partie, je vous invite à un voyage éclair ou plutôt un survol de la musique qui pourrait faire à lui seul l’objet de moult planches. Je tire l’information principalement de wikipédia et la filtre en utilisant mes propres connaissances issues d’autres sources et ma perception toute personnelle de la chose.

JJ Rousseau, dans son essai sur l’origine des langues, avait émis l’idée que les langues primitives devaient être mélodiques et plutôt psalmodiées voire chantées.

C’est en Chine que l’on a retrouvé les premières traces de théorie musicale, qui dateraient d’environ dix siècles avant JC. Cette musique est inséparable de la poésie et de la danse, pour certains sages elle exprimait l’équilibre entre le ciel et la terre. Une gamme avait été aussi inventée, comportant cinq notes, qui se succédaient de quinte en quinte ascendante, en partant de fa. Chaque note avait valeur de symbole : la première représentait un prince, la deuxième un ministre, etc. Bien après, apparut une autre gamme de sept notes, elle est semblable à celle que nous utilisons aujourd’hui. Ces deux gammes sont encore utilisées en Chine.

Le poète chinois Liù-Wei raconte que selon la légende, 2 500 ans avant notre ère sous le règne de l’empereur Hoang-Ti, ce dernier chargea un maître de musique à la Cour d’une mission difficile: lui ramener le secret du chant des oiseaux qui vivaient dans une région reculée où les oiseaux chantaient comme nulle part ailleurs. Le maître partit immédiatement et quand il revint, des mois plus tard, il avait avec lui douze flûtes qui correspondaient aux douze notes de la gamme chromatique. Cependant pendant des siècles les Chinois n’utilisèrent que des gammes à 5 notes ou pentatoniques, toutes basées sur les 12 notes de la gamme chromatique, par exemple fa dièse, sol dièse, la dièse, do dièse et ré dièse[1].

Les Chinois de cette époque avaient déjà de nombreux instruments de musique à disposition comme des cloches chinoises et des tambours, des orgues à bouche, des flûtes, des cithare chinoises ressemblant à des mandolines et un luth primitif au son très doux fait d’une longue et étroite pièce de bois sur laquelle des cordes étaient tendues. Dès les temps anciens, la musique accompagnait toutes les cérémonies.

En donnant une suite à la musique grecque ancienne et à celle de la Rome antique, la musique classique occidentale trouve son origine dans le chant chrétien. L’unification des rites fera évoluer la musique vers le chant grégorien, monodique et apparaîtra alors le premier système d’écriture musicale en occident.

La polyphonie interviendra dans les siècles suivants, et nécessitera une écriture plus précise, mise en forme par le moine Guido d’Arezzo. La transmission de la musique populaire, des troubadours notamment, étant orale, seule la musique sacrée du moyen âge des écoles successives (ars antiqua et ars nova) parviendra jusqu’à nous. La pré-renaissance verra se développer essentiellement les écoles de musique franco-flamandes qui seront à l’origine de la théorie de l’harmonie c-ad des accords (notion verticale alors que la mélodie est la dimension horizontale).

Au XVIe siècle se produit l’un des événements les plus importants pour la diffusion de la musique : la création de l’imprimerie musicale. C’est aussi le siècle de la naissance du madrigal dont le représentant le plus important est Claudio Monteverdi qui sera également à l’origine de ce qui deviendra l’opéra (l’Orfeo est considéré comme le 1er opéra). Le développement extraordinaire de la musique lors des siècles suivants aboutira entre autres aux compositions de Johann Sebastian Bach et d’Antonio Vivaldi pour la période baroque, de Mozart et Haydn pour la période classique.

Au début du XIXe siècle domine la personnalité de Ludwig van Beethoven. C’est la « saison du grand symphonisme allemand » et le XIXe sera aussi celle de l’opéra italien avec Gioachino Rossini puis Giuseppe Verdi, du romantisme pianistique avec Franz Liszt et Frédéric Chopin, et violonistique avec Paganini. C’est le siècle de la musique romantique.

À la fin du XIXe siècle le système harmonique est poussé jusqu’à ses limites notamment par Richard Wagner, Anton Bruckner et Gustav Mahler. Une révolution s’ensuit avec la création dans la deuxième décennie du XXe siècle, par Arnold Schoenberg et ses élèves, d’un nouveau système, le dodécaphonisme (Cette technique donne une importance comparable aux 12 notes de la gamme chromatique, et évite ainsi toute tonalité).

C’est la période de la musique moderne, riche en innovations harmoniques et rythmiques, dont les plus grands représentants sont Igor Stravinsky, Bela Bartok ou Maurice Ravel.

La deuxième partie du XXe siècle voit l’émergence de la musique contemporaine, période dense d’expérimentations et de remises en causes, du sérialisme intégral de Pierre Boulez, au happening musicaux de John Cage, et les innovations de Karlheinz Stockhausen avec l’électronique. À partir de 1960, la diversité des courants musicaux s’enrichit considérablement, avec la musique répétitive des américains Steve Reich, Philip Glass, John Adams, l’école spectrale de Gérard Grisey et Tristan Murail, ou encore le courant postmoderne Arvo Pärt, Henryk Górecki.

Parallèlement à la musique savante ont évolué en Occident des musiques qui sont fortement liées ou associées à un folklore, à une culture nationale ou religieuse, voire à une zone géographique. Elles ont également une histoire avec des origines et une évolution propres.

Au-delà de la culture musicale européenne, il existe d’autres cultures musicales, toutes aussi importantes mais qui nous sont peu familières. Elles utilisent parfois des systèmes et des échelles différentes des nôtres. Depuis des millénaires, d’autres musiques classiques existent de par le monde, avec des traités musicologiques et des pratiques savantes comme dans la Musique Indienne.

Mais tout ceci n’est pas l’objet principal de ce travail (prélude certainement à un autre si vous le souhaitez)…

« Dis ! comment ça marche ? ou pas ! d’ailleurs »

«La perception de la musique tient du miracle», selon le neuropsychologue Bernard Lechevalier qui dans son livre « Le cerveau mélomane de Baudelaire » s’émerveille d’abord de «la capacité de l’oreille (chez un sujet conscient) à analyser en permanence le magma de sons ou, si l’on préfère, des vibrations aériennes qui viennent frapper le tympan».

L’oreille est aussi complexe que l’œil (miracle de l’évolution selon Darwin) : à partir du 17eme siècle et ensuite, on a compris que les sons pénètrent dans les canaux auditifs, font vibrer les tympans dont les mouvements sont relayés par les osselets de l’oreille moyenne avant d’atteindre la cochlée, organe en forme d’escargot. La base de cette spirale est sensible aux sons aigus et le haut aux sons graves. Le physoliogiste italien Alfonso Corti a découvert que la cochlée contient une membrane composée de 3500 cellules ciliées internes qui sont nos plus profonds récepteurs auditifs. Une oreille jeune peut entendre 10 octaves et distinguer des sons séparés par 1/17eme de ton ce qui correspond à 1400 sons tous discriminables.

Contrairement au langage qui est dans l’hémisphère gauche, la musique est répartie dans les deux hémisphères. Ces aires modulaires sont totalement synchrones.
« Dans le lobe temporal droit, on retrouve la perception de la mélodie, les timbres, l’affectivité », expliquent les neuropsychologues. « Dans le lobe temporale gauche, on retrouve le rythme et les hauteurs élémentaires. C’est aussi la familiarité, nos connaissances.

Les différents cortex auditifs interpréteraient aussi chacun leur partition, à en croire Robert Zatorre, codirecteur du BRAMS (Laboratory for brain, music and sound research) de l’Université de Montréal. Le primaire identifierait les éléments fondamentaux de la musique comme la hauteur du son ou le volume; le secondaire se consacrerait à l’harmonie, à la mélodie et au rythme, puis le tertiaire intégrerait toutes ces informations pour fournir une perception globale du morceau.

Les aires cérébrales dédiées à l’audition ne sont toutefois pas les seules concernées. Il faut y ajouter des aires motrices (qui interviennent notamment lorsque l’on joue d’un instrument ou que l’on chante), des structures comme l’hippocampe (l’un des sièges de la mémoire qui s’active lorsque l’on entend un air familier), des circuits rythmiques du cervelet (qui interviennent lorsque l’on bat la mesure, avec le pied ou dans sa tête), et quelques autres. Sans oublier des centres du langage qui sont sollicités lorsque l’on écoute une chanson ou que l’on se souvient de ses paroles.

En parlant de paroles…cela m’amène à une digression sur le langage ou plutôt me permet d’aborder le lien langue-musique…
«Là où s’arrête le pouvoir des mots commence celui de la musique», disait Richard Wagner.

En comparant les réactions à différents chants d’un groupe de bébés de 8 mois et un groupe d’adultes, des chercheurs (Univ. du Wisconsin) ont découvert que les bébés s’appuient sur la référence à la hauteur absolue des notes alors que les adultes utilisent celle de hauteur relative. La conclusion est que dans la petite enfance l’oreille absolue (pour faire très simple : capacité à reconnaitre et déterminer la hauteur d’une note indépendamment des autres) est sans doute universelle puis contreviendrait à l’adaptation langagière et serait ainsi perdue. En effet, l’oreille absolue peut empêcher de reconnaitre que 2 mots prononcés sur des fréquences différentes sont similaires. Ainsi le langage ne pourrait se développer que si l’oreille absolue est inhibée. Dans son livre « The singing neanderthals … » (le néanderthalien chantant), Steven Mithen suggère que la musique et le langage ont une origine commune, il existait une combinaison d’une protomusique et d’un protolangage résultant en une langue chantée véhiculant des significations indépendamment des mots. Cette langue appelée Hmmm (holistique-mimétique-musicale-multimodale) reposait sur des aptitudes mimétiques et …l’oreille absolue. L’apparition du langage compositionnel et des règles syntaxiques a, à la fois, permis de dire plus de choses mais a peut-être entrainer la raréfaction de l’oreille absolue. Nous retrouvons ainsi la même idée que celle émise par JJ Rousseau.

Vous noterez que l’oreille absolue n’est pas absolument nécessaire pour un musicien (Mozart la possédait mais ni Wagner ni Schumann qui n’ont pourtant pas démérités). Cependant la perte de cette faculté, suite à un AVC par exemple, peut être comparée à du daltonisme auditif pour qui en est victime. Chaque note ou chaque tonalité perd sa saveur, son caractère unique. L’oreille absolue existe aussi chez les non-musiciens. Elle n’est pas forcément le fruit d’une éducation musicale précoce.

Si la plupart des réseaux neuronaux impliqués dans l’analyse de la musique côtoient ceux du langage, ils ne s’y superposent pas. Certains d’entre eux sont même «exclusivement dédiés au traitement de la musique » selon Isabelle Peretz du BRAMS.

La preuve en a été maintes fois apportée par des personnes qui, après avoir subi des lésions cérébrales, ont perdu l’usage de la parole, alors qu’elles ont gardé intact leur «cerveau musical» comme le nomme Isabelle Peretz. Le cas le plus célèbre est celui du compositeur russe Vissarion Chebaline qui, après un accident vasculaire cérébral (AVC), devint incapable de communiquer verbalement. Il n’en continua pas moins à exercer sa profession et il écrivit même sa Cinquième Symphonie qui, de l’avis de son contemporain Dimitri Chostakovitch, est «l’œuvre d’un grand maître». A l’inverse, il arrive aussi que les victimes d’un AVC retrouvent le verbe, mais deviennent totalement insensibles à la musique ou même incapables de reconnaître les airs les plus connus.

Il n’est d’ailleurs pas besoin d’avoir eu un accident pour souffrir de cette amusie qui touche quelque 5% de la population. Tel était le cas de Che Guevara. Assistant à un bal et conscient de son infirmité, il demanda à un ami de lui donner un coup de coude pour le prévenir lorsque les musiciens joueraient un tango afin qu’il puisse inviter à danser une infirmière qu’il trouvait à son goût. Son compagnon ayant fait un geste malencontreux au moment où l’orchestre entamait une samba, le Che se précipita sur sa cavalière et dansa le tango sur le rythme de la samba, provoquant le rire de l’assistance. Il semblerait que Nabokov était atteint d’amusie congénitale : je ne dis pas « souffrait » car visiblement il n’entendait dans la musique « qu’une succession arbitraire de sons plus ou moins agaçants » (il a dû écouter une œuvre dodécaphonique de Schoenberg à haute dose !).

Oliver Sacks rapporte le cas du Dr Tony Cicocia qui après avoir été foudroyé dans une cabine téléphonique lors d’un orage, et revenu à la vie après un bref arrêt cardiaque et qui 2 semaines après se trouve pris d’un « désir insatiable d’écouter du piano » qui l’amène à apprendre Chopin mais surtout à se trouver envahi d’une musique intérieure d’une force irrésistible l’amenant à centrer sa vie sur l’étude de la musique et la composition tout en continuant à pratiquer la chirurgie.

Dans un registre connexe, on peut mentionner « le phénomène Baudelaire « . Baudelaire longtemps hermétique à la musique, se prend en effet de passion pour Wagner qu’il défend avec ardeur après l’échec de Tannhâuser à Paris en 1861, devenant alors un mélomane passionné et un très grand critique musical, bien qu’il ne sache pas un mot de musique.

Sommes-nous prédisposés anatomiquement ?

«Les anatomistes seraient bien en peine d’identifier le cerveau d’un artiste plasticien, d’un écrivain ou d’un mathématicien – mais ils reconnaîtraient le cerveau d’un musicien professionnel sans la moindre hésitation», écrit Oliver Sacks. Leur corps calleux (importante commissure qui relie les deux hémisphères) est plus développé, constate-t-il et «les volumes de matière grise sont plus importants dans les aires corticales motrices, auditives et visiospatiales aussi bien que dans le cervelet». S’il n’est pas possible de déterminer avec précision la part de la prédisposition innée et de l’acquis de la pratique dans ces dissemblances, force est de constater que les cerveaux des virtuoses sont différents de ceux de tout un chacun.

Clara James, chercheuse au laboratoire du développement et des apprentissages moteurs de l’Université de Genève (Unige) et ancienne violoniste professionnelle a comparé l’activité cérébrale de treize personnes n’ayant aucune aptitude particulière pour la musique et celle d’un même nombre de pianistes virtuoses. Après avoir bardé leur crâne de multiples électrodes, elle leur a fait écouter une série de morceaux classiques composés pour l’occasion, dans lesquels avaient été glissé des «incongruités» harmoniques très subtiles. A son grand étonnement, les différences entre les deux groupes étaient flagrantes. Non seulement parce que 96% des pianistes – contre 66% des non-musiciens – ont détecté ce que la chercheuse appelle «les entorses à la grammaire musicale». Mais aussi parce que l’électro-encéphalogramme a révélé que, «200 millisecondes après l’accord modifié», les premiers ont manifesté une «activation synchrone d’une grande population de neurones» qui restait silencieuse chez les seconds. La chercheuse en a conclu que les structures cérébrales impliquées se trouvaient «dans le medio-lobe temporal droit». Là où se situe l’hippocampe, «très important pour l’analyse fine de l’harmonie», mais aussi l’amygdale, aire des émotions.

Le jeune Wolfgang retranscrit intégralement de mémoire après l’avoir entendue à la Chapelle Sixtine une œuvre pour deux chœurs d’une durée de quinze minutes, à l’écriture particulièrement complexe, dont la partition était tenue secrète : le Miserere d’Allegri célèbre dans toute l’Europe. Cet exemple permet à Bernard Lechevalier (dans son livre « le cerveau de Mozart ») de montrer qu’il existe, distincte de la mémoire habituelle, une mémoire musicale où entre en jeu la structure de l’œuvre musicale ellemême. « L’intelligence musicale » qui permet de coordonner l’ensemble de ces activités intéresse la globalité du cerveau. Mais il ne faut perdre de vue que la génétique n’explique pas tout : plus sera précoce l’éducation musicale, et l’on sait que Mozart fut baigné dans une ambiance musicale dès sa vie fœtale, meilleures seront les performances du sujet quelques soient ses dispositions héréditaires. Et bien au-dessus de l’intelligence musicale se situe, pour Mozart, la lettre G pour Génie car sa musique est empreinte de sa vie et de ses émotions.

C’est l’occasion de vous parler en résonnance avec le passage ci-dessus des « musiciens savants » qui désigne les autistes ou arriérés mentaux prodigieusement doués dans le domaine musical. C’est le cas de Martin qui est devenu épileptique suite à une méningite à l’âge de 3 ans. Son déficit intellectuel s’est trouvé contrebalancé par le pouvoir d’écouter des mélodies au point de les chanter les jouer au piano après une seule audition. De plus Il était un très grand lecteur retenant la moindre page qu’il lisait même sans les comprendre tout à fait. Il connaissait plus de 2000 opéras en plus du Messie, de l’oratorio de Noel et …de toutes les cantates de Bach. Il se souvenait des mélodies certes mais également de ce chaque instrument jouait et chaque choix chantait.

«La musique offre aux passions le moyen de jouir d’elles-mêmes», écrivait Nietzsche dans Le gai savoir. Si elle exerce une telle magie, c’est aussi parce qu’elle possède une «valeur affective», précise Silvia Bencivelli, médecin et journaliste scientifique italienne dans Pourquoi aime-t-on la musique? Son origine «réside dans une partie du cerveau nommée système limbique, qui entre en jeu également quand nous savourons un bon repas ou quand nous faisons l’amour». Même un cerveau accidenté peut ne pas reconnaître un air et pourtant en percevoir la tonalité émotionnelle. Céline, alors qu’il écoutait l’Adagio d’Albinoni après son accident cérébral, a eu dit-on cette réaction: «Je ne connais pas cette musique, mais elle est tellement triste qu’elle me fait penser à l’Adagio d’Albinoni.»

Des études ont répertorié neuf émotions liées la musique : l’émerveillement, la puissance, la nostalgie, la transcendance, le calme, la joie, la tendresse, la tristesse et l’agitation. Selon leur nature, et plus encore, selon leur intensité et le niveau d’excitation qu’elles provoquaient, les émotions n’animaient pas les mêmes zones cérébrales. Les différences peuvent même être assez fines puisque, selon qu’il venait de l’écoute d’une musique entraînante ou tendre, le plaisir «activait des aires différentes».

Ainsi, à travers son contenu émotionnel, la musique peut contribuer à soigner et cette connaissance est ancienne. Avant même qu’on la baptise ainsi, on utilisait consciemment la musique pour adoucir la douleur ou la souffrance psychologique». La musicothérapie moderne, née entre la Première et la Seconde Guerre mondiales aux Etats-Unis, tire parti du fait que certains patients réagissent fortement et spécifiquement aux stimuli musicaux. Elle peut ainsi s’avérer efficace pour traiter des troubles neurologiques divers. Cela va de la maladie d’Alzheimer – «une musique convenablement sélectionnée est capable d’apporter beaucoup plus aux patients, en termes d’orientation et d’ancrage, que la plupart des autres thérapies», note Oliver Sacks – à la maladie de Parkinson, en passant par des troubles du langage, l’autisme et quelques autres encore.

Le mythe de «l’effet Mozart»

En 1993 la revue scientifique Nature a publié une étude qui montrait qu’après avoir écouté de la musique du compositeur autrichien pendant dix minutes, des étudiants californiens amélioraient leur quotient intellectuel. «L’effet Mozart» était né, sous-entendant que la simple et brève écoute de cette musique rendait plus intelligent. La nouvelle a été reprise par les médias du monde entier et elle a même incité l’Etat de Géorgie à offrir des CD de Mozart aux femmes enceintes afin d’accroître le QI de leurs futurs bébés.

Depuis, le «protocole expérimental a été reconnu inadéquat», et les résultats n’ont pu être reproduits. Lorsqu’ils y parviennent, «l’amélioration observée s’explique par un simple effet d’éveil», commente Isabelle Peretz, ajoutant que l’écoute d’une histoire captivante a sur les étudiants le même effet. la revue Nature a dû en 1999 mettre un terme à cette polémique

Pour autant, personne ne nie les effets cognitifs ni les vertus pédagogiques d’une écoute régulière de la musique et surtout de sa pratique. «La musique peut présenter autant d’importance éducative que la lecture ou l’écriture», à en croire Oliver Sacks.

Mais même la bonne musique ne fait pas que du bien

«L’imaginaire musical peut devenir excessif et incontrôlable», note Oliver Sacks, et «franchir un seuil au-delà duquel il devient pathologique». Certains de ses patients épileptiques chez qui la musique provoquait des crises violentes. D’autres étaient sujets à des «hallucinations musicales», comme Mme C. qui ne cessait d’entendre dans sa tête des Noëls et des chansons populaires.

Il est grand temps de répondre à cette question essentielle :

A quoi sert la musique?

Et là j’ai bien peur de vous décevoir dans votre quête de connaissance par une piètre récompense de votre écoute attentive et silencieuse et j’espère compréhensive.
«A première vue, la musique paraît ne servir à rien. On devrait pouvoir s’en passer, comme on peut se passer de faire du sport et de l’art en général et continuer à vivre confortablement» pensent certains auteurs. Apprécier la musique ne confère en effet, a priori, aucun avantage pour la survie de l’espèce humaine et de nombreux chercheurs se sont demandé pourquoi ce trait avait été conservé au cours des millénaires.

Les premiers éléments de réponse sont venus de Darwin, qui avançait que le chant s’était développé chez nos lointains ancêtres dans le cadre de la parade nuptiale. «Cette faculté, écrivait-il en 1871, s’exerçait principalement à l’époque où les sexes se recherchaient, pour exprimer les diverses émotions de l’amour, de la jalousie, du triomphe ou pour défier les rivaux.» Pour le naturaliste anglais, la production de «sons chantés» aurait donc précédé et engendré le langage.

Selon Isabelle Peretz, «La musique sert à renforcer la cohérence du groupe. Elle n’est pas qu’un simple jeu pour l’esprit, elle répond au besoin biologique d’appartenance.» De nombreux chercheurs sont en effet de l’avis qu’elle est partie intégrante du lien social.

Certaines notes discordantes se font toutefois entendre, comme celle jouée par Steven Pinker. Le psychologue américain avance qu’avec la musique, l’homme a tout simplement trouvé un moyen de stimuler ses circuits cérébraux pour obtenir du plaisir, sans rien faire de biologiquement utile. «Je soupçonne la musique, dit-il, d’être une bavaroise à la fraise de l’oreille, une merveilleuse gâterie délicatement élaborée pour chatouiller les points sensibles d’au moins cinq ou six de nos facultés mentales.»
La musique répond-elle à un besoin fondamental? Il est difficile de remonter le cours de l’évolution pour trancher. Qu’importe, nous n’avons pas besoin de savoir pourquoi nous aimons la musique pour que la magie des notes opère.

Comme l’a dit Elvis Presley: «Je ne connais rien à la musique. A mon avis, ce n’est pas nécessaire.» Un aphorisme que Johnny H. lui-même n’aurait pas renié…

Pour ma part, je pense fondamentalement que l’acte de créer de la musique, d’en interpréter ou tout simplement d’en écouter revient à sculpter l’espace et le temps de notre vie afin de la rendre plus intelligible et plus belle.

Mes lectures et sources de ce propos

«Musicophilia. La musique, le cerveau et nous. D’Oliver Sacks. Seuil.
« De la note au cerveau. L’influence de la musique sur le comportement ». De Daniel Levitin. Héloïse d’Ormesson,
« Pourquoi aime-t-on la musique? Oreille, émotion, évolution ». De Silvia Bencivelli (Belin)
« Le cerveau mélomane de Baudelaire. Musique et neuropsychologie. De Bernard Lechevalier ». Odile Jacob
Article de synthèse (en ligne) par Elisabeth Gordon
Wikipédia (pour le parcours sur l’évolution de la musique).
Illustrations sonores extraites de ma discothèque personnelle
« Marche Pour la Cérémonie des Turcs » de Lully (B.O de « Tous les matins du monde »)
“Monteverdi_ Si Dolce È’L Tormento” par Marco Beasley
“Bach_ Toccata & Fugue In D Minor” par Gabriela Montero
« Silouans Song » d’ Arvo Pärt
« Soupris Khelkhvavi » par Mze Shina (ensemble polyphonique géorgien)
« Zero Tolerance for Turbulance Part 3 » de et par Pat Metheny
« The Truth Will Always Be” de et par Pat Metheny
Et également étaient prévus mais non joués : « Por La Mar Chica Del Puerto » (de et par Mayte Martin) ou encore « Sigur Ros 1 » (de et par Sigur Ros)

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